> Tout à l'ego

dimanche 20 janvier 2013

Reprendre la parole



Jeudi dernier, alors que les sénateurs débattaient du projet de scrutin paritaire, le sexisme primaire a fait irruption au sein de l’hémicycle. Il faut dire que le sujet s’y prêtait particulièrement bien.

Un véritable festival de la misogynie ordinaire résumé en quelques phrases :

"De grâce, pas d'obsession sexuelle collective. La parité doit-elle être absolue compte tenu de tout ce qu'on entend sur la théorie du genre, le mariage pour tous ?" 

"C'est humiliant pour les femmes"

« Il faut laisser ce binôme juste pour une mandature. Ainsi, les femmes auront eu le temps de faire leurs preuves"
Un scrutin également  qualifié de "totalement baroque", de "gadget ": "beaucoup de femmes risquent de se retrouver dans le rôle de potiches : les hommes s'occuperont des dossiers nobles et les femmes des affaires sociales".
Puis, lors de la prise de parole de Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise, cette phrase lapidaire, lâchée sans complexe par Bruno Sido "Mais qui c’est cette nana ? ".
Sans se démonter, celle-ci a alors apostrophé le sénateur UMP avec beaucoup de répartie : "Vous pouvez répéter tout haut, vous venez de dire : 'C'est qui cette nana ?' M. Sido, vous avez gagné la palme de la misogynie beauf de cette assemblée."
J’avoue que le calme et le courage de la sénatrice face à ce type de saillie misogyne a forcé mon admiration. Alors que beaucoup auraient feint de ne pas entendre pour ne pas faire de vague ou simplement par autocensure, elle a osé répliquer. Je suis persuadée qu’elle aura force d’exemple pour beaucoup d’entre nous.
Cet épisode a résonné en moi et m’a poussée à l’introspection. Où en étais-je face à la misogynie ? Quelles ont été les petites phrases qui ont ponctué ma vie professionnelle ? Comment ai-je réagi ?
En remontant le fil, elles me sont revenues peu à peu. Le chef libidineux qui m’annonce en pleine réunion que s’il n’avait pas été marié, j’aurais tout à fait été son genre. Le responsable de stage qui me vire du jour au lendemain car j’ai refusé de dîner avec lui. Le PDG de l’entreprise pour laquelle je travaille en job d’été qui m’ordonne de ne plus emprunter l’entrée principale mais de passer par le local à poubelle car mes jupes sont trop courtes. Le N+2 qui me demande de servir le café en réunion alors que je suis la seule femme. Le journaliste qui m’aperçoit un livre à la main et me lance étonné « oh mais tu lis ? » (J’ai échappé de justesse au « tu sais lire ? ») alors que je travaille au journal « La Tribune » comme hôtesse. Le client qui me demande « et l’hôtesse, elle coûte combien ? ».  La DRH (oui, c’est une femme) qui m’interroge «  Que pense votre mari de votre changement de cap professionnel ? » puis « Il fait quoi comme métier ? C’est important si ça ne marche pas pour vous ».
Et puis tant d’autres phrases.
Certaines que j’ai oubliées.
D’autres qui sont trop douloureuses pour être évoquées
Rétrospectivement, cet inventaire me fait froid dans le dos. Au-delà du contenu nauséabond de ces saillies, ce sont mes réactions qui me terrifient. Ou plutôt mon absence de réaction.
Je n’ai jamais répondu. J’ai toujours acquiescé. Je ne me suis jamais révoltée.
Certes, j’étais beaucoup plus jeune (à part pour l’épisode avec la DRH qui ne date que d’un an et demi) mais je ne m’explique pas cet état de sidération et cette sourde culpabilité qui m’ont laissée sans voix à chaque épisode. Pas plus que cette capacité incroyable à passer à autre chose sans y laisser trop de plumes. En y réfléchissant, ces réactions ressemblent étrangement aux sentiments ressentis après un viol notamment la sidération puis la culpabilité (« est ce qu’après tout je ne l’ai pas cherché ?).
Grâce à ce blog, j’apprends progressivement à reprendre la parole.
Grâce à l’exemple de Laurence Rossignol, je me promets désormais de ne plus laisser passer ce genre de phrases assassines.
La culpabilité doit changer de camp.

vendredi 18 janvier 2013

6 ans et déjà sexistes?



Récemment, le dictionnaire des écoliers avait fait beaucoup de bruit à cause de ses définitions jugées sexistes (« ma mère repasse les affaires de la famille » « Le père, c'est le mari de la maman, sans lui la maman ne pourrait pas avoir d'enfants. C'est le chef de famille parce qu'il protège ses enfants et sa femme. »). Cet outil pédagogique « fruit de l'imagination et du travail de milliers d'élèves guidés par leurs maîtres» a finalement été fermé suite au bad buzz. Mais les préjugés, eux, sont toujours là.

Le site « Heautontimoroumenos » rapporte à ce sujet un travail riche d’enseignement sur les représentations genrées. Mené par le planning familial au sein des classes de CP, il propose aux enfants répartis en 2 groupes non mixtes le scénario suivant : « Imaginez que pendant votre sommeil, un magicien ou une magicienne vous transforme en garçon (respectivement fille). Le matin lorsque vous vous réveillez, quelle est votre réaction ? Qu’est-ce qui est mieux ou moins bien ? Qu’est-ce que vous pouvez faire que vous ne pouviez pas faire avant ? Qu’est-ce que vous ne pouvez plus faire ? »

Les réponses collectées sont édifiantes :

Le groupe des filles

Lorsqu’on est une fille et qu’on se réveille garçon, les points négatifs sont :

J’ai moins de choix pour m’habiller (pas de jupes, de collants, de bracelets).

Je dois me battre et taper, les autres auront peur de moi et j’aurai moins d’amis
Je devrai me raser.

Je ne pourrai plus avoir des jouets de fille.

Je ne pourrai plus m’entraîner à m’occuper d’enfants en jouant à la poupée.

Lorsqu’on est une fille et qu’on se réveille garçon, les points positifs sont :

Je n’aurai pas de bébé dans le ventre, je serai tranquille, je n’irai pas à l’hôpital.
Je n’aurai pas de mari.

Je n’aurai pas besoin de me coiffer.

Je pourrai faire pipi debout.

Je courrai plus vite.

J’aurai un zizi.

Je pourrai avoir des jouets et des habits de garçon.

Je pourrai avoir les cheveux courts.

Le groupe des garçons

Lorsqu’on est un garçon et qu’on se réveille fille, les points négatifs sont :

Je devrai porter des jupes et on verra ma culotte.

J’aurai des seins et c’est trop gros.

J’aurai des seins et on va se moquer de moi.

J’aurai des bébés et après il faut s’en occuper.

Il faudra enlever ma culotte pour faire pipi.

Il faudra mettre du rouge à lèvres, du maquillage et toujours se coiffer les cheveux.

Je ne pourrai plus jouer au basket.

Il faudra se coucher plus tôt.

J’aurai moins de force.

J’aurai moins d’intelligence.

Je ferai moins de sport.

J’aurai plus peur.

Lorsqu’on est un garçon et qu’on se réveille fille, les points positifs sont :

Je serai sage à l’école.

Je pourrai être amoureux de Théo.

Je pourrai faire des bisous à Thibault.

Je pourrai porter des bijoux.

Je pourrai faire de la cuisine.

Je pourrai faire des bisous.

Quand on sait qu’avant 1 an et demi, un enfant est incapable de s’identifier à un sexe, on réalise qu’en 4 ans et demi, le nombre de préjugés genrés engrangés par les enfants est assez impressionnant.

Pour les garçons, être une fille c’est être plus faible, moins intelligente, avoir peur. C’est se soucier de son apparence et ne pas pouvoir faire de jeux d’extérieur.

Pour les filles, être un garçon c’est « être tranquille » : ne pas avoir de bébé, ne pas avoir de mari, ne pas avoir besoin de se coiffer. Mais aussi avoir moins d’ami, devoir se battre et taper.

Des stéréotypes entretenus dès le plus jeune âge par la publicité, les livres mais aussi les manuels scolaires (l’analyse de 29 manuels de collège et lycée par la Halde reflétait ces stéréotypes, en terme de choix de métiers notamment : s’ils comptaient 3 fois plus d’images masculines que féminines, les premières mettaient dans un quart des cas l’homme en situation dominante.).

Les jouets sont également un puissant vecteur de stéréotypes. Crystal Smith, auteure de « The Achille effects » l’avait mis en valeur de façon très parlante l’année dernière sur son site. Elle avait listé pour son étude les 658 mots des 27 pubs pour garçons âgés de 6 à 8 ans et les 432 mots des 32 pubs pour filles. Plus le mot était récurrent, plus sa taille était importante sur le graphique.

Voici la version "filles": 


Et la version "garçons" :

Il en ressort encore une fois que les filles sont associées à l’amour, à la magie, à la mode, aux bébés, et aux paillettes.
Les garçons, quant à eux, sont cantonnés à la bataille, au pouvoir, à la rapidité aux armes et aux coups.

Par curiosité, j’ai posé les 2 questions du planning familial à mon fils :

D’après lui, lorsqu’on est un garçon et qu’on se réveille fille, les points négatifs sont :

-       « On ne peut plus faire pipi debout, ça prend plus de temps que d’être assis » (décidément les questions urinaires préoccupent beaucoup ces chers enfants !)
-       « On doit subir le chantage des filles. Par exemple, ma copine Alice qui est amoureuse de moi a dû choisir entre ses copines et moi. Les autres filles lui disaient que si elle restait avec moi, elles ne joueraient plus avec elle »

D’après lui, lorsqu’on est un garçon et qu’on se réveille fille, les points positifs sont :

-       « On peut faire un bébé » (mon fils sait qu’il voudra déjà 3 bébés, il est prévoyant !)
-       « On peut faire des jeux de fille sans qu’on se moque de nous, comme jouer à la dinette » (c’est du vécu, mon fils adore jouer à la dinette et se fait régulièrement traiter de mauviette car il n’aime ni se battre ni jouer au foot).
-       « On est plus intelligent quand on est une fille ». Alors là, un stéréotype positif c’est intéressant. En creusant la question avec mon fils, il a avoué m’avoir entendue en parler avec son père.

En effet, je me suis souvenue, après coup, avoir évoqué avec lui cette étude récente qui avait prouvé que le QI des femmes dépassait celui des hommes ! Mais je n’en avais pas parlé directement avec mon fils !

Intéressant de voir à quel point les enfants peuvent être des éponges…
D’où l’importance d’être vigilant à l’encontre de ce qu’ils lisent ou voient et d’être attentif à ce que l’on dit ou montre.







mardi 15 janvier 2013

Quand Samsung remet une 2ème couche de sexisme...



L’année dernière j’épinglais sur le blog la publicité sexiste pour le « Samsung Galaxy Note ». 
Dans la version féminine de l’affiche, le téléphone servait de pense-bête pour ne pas oublier la date des soldes ou d’accessoire de mode à assortir avec ses nouvelles chaussures. 



Sur la seconde affiche, masculine ou mixte, car contrairement à la première aucun accessoire genré n’y figurait, on comprenait immédiatement que l’on était dans un environnement professionnel : courbes ascendantes, annotation « présentation des résultats 2011 à 14h ». Futilité féminine versus professionnalisme masculin.


Cette année encore, Samsung enfonce le clou du sexisme avec cette publicité pour le « Samsung Galaxy Note 2 » dans une guerre des sexes fort peu subtile.

              

La femme, blonde forcément, équipée d’un téléphone rose, s’amuse à jouer sur son smartphone pendant que son pendant masculin, sérieux et concentré, travaille consciencieusement. Encore une fois pour Samsung, la futilité est féminine (elle dessine, regarde des vidéos de chiens, fait des photomontages) pendant que son pendant masculin utilise son smartphone comme un outil professionnel (il prend des notes, établit des graphiques).

Microsoft avait lui aussi surfé sur les mêmes stéréotypes en décembre dernier : la publicité pour Windows Phone 8 invitait ainsi les hommes à s’identifier à un champion, un chef et un aventurier. Les femmes, quant à elles, étaient priées de se passionner pour le quotidien ou le shopping, comme l’expliquait le site des Nouvelles News.

A quand un téléphone « spécial femme », rose, incluant liste de shopping et rouge à lèvres assorti ? On me dit dans l’oreillette que cela existe déjà


lundi 14 janvier 2013

Le poids des stéréotypes



Le 21 décembre dernier, j’ai eu la chance d’être invitée au 2ème forum de la mixité qui se tenait à l’Espace des Blancs Manteaux.

L’originalité de l’événement, au-delà du salon qui regroupe une soixantaine d’exposants, ce sont ces 20 ateliers très concrets (leadership, visibilité, stéréotypes, parentalité…) animés par des experts.

J’ai pu assister à 2 sessions : visibilité en entreprise et stéréotypes.

C’est sur ce second atelier que je m’attarderai aujourd’hui, animé par Inès Dauvergne, responsable diversité à l’IMS et Corinne Hirsch, cofondatrice du laboratoire de l’égalité.

Nous avons commencé la séance par un petit exercice interactif afin de nous mettre en jambe : lister l’ensemble des qualités et défauts hommes/femmes (intéressant d’ailleurs de voir que les hommes, ultra-minoritaires dans l’assemblée, on réussi à parler davantage que les femmes tout au long de l’atelier !)

Petit florilège des qualités et défauts féminins: sensibles, attentives, consensuelles, patientes, agressives, autoritaires, sérieuses, maternelles, imaginatives.

Qualités et défauts au masculin : suffisants, autoritaires, arrogants, ambitieux, séducteurs, carriéristes, bornés, manipulateurs, narcissiques.

Il ressortait de cet exercice interactif que les stéréotypes semblaient assez bien partagés par les 2 sexes : une étude citée par les intervenantes le confirme bien. Menée auprès de 1200 managers (hommes et femmes), elle démontre ainsi qu’un tiers d’entre eux pensent que les 2 sexes sont génétiquement programmés pour avoir des compétences différentes.

Hommes et femmes sont d’ailleurs assez d’accords sur les stéréotypes : d’après les verbatim collectés, les femmes sont intuitives, créatives, empathiques, organisées, les hommes sont cartésiens, combatifs, font preuve de leadership et d’autorité.

Partant de ce constat, Catherine Vidal, neurobiologiste, est ensuite venu nous expliquer l’origine de ces différences.

Il y a 15 ans, le poids de l’innée était très lourd. Psychologues et neurobiologistes n’hésitaient pas à asséner de façon définitive « Tout est joué avant 6 ans ». Les chercheurs ont depuis fait une découverte fondamentale : la plasticité du cerveau, qui se construit en fonction des apprentissages et de l’expérience de la vie. Il apparaît que nous avons donc tous et toutes des cerveaux différents (il y a d’ailleurs plus de différences entre des cerveaux du même sexe qu’entre des cerveaux d’hommes et de femmes).

Le système visuel illustre d’ailleurs très bien cette plasticité: à la naissance, le nouveau-né possède une vision limitée et n’acquiert une vision équivalente à celle d’un adulte qu’à l’âge de 5 ans. Si l’œil de l’enfant n’est pas exposé à la lumière, les connexions neuronales ne se feront pas et la vision en sera affectée.

90% de nos connexions neuronales se construisant après la naissance, l’influence de l’environnement est donc prépondérante.
De plus, avant un an et demi, l’enfant ne s’identifie pas à un sexe. Il a pourtant été sexué bien avant sa naissance par ses parents (avec une chambre rose ou bleue par exemple).

Ce sont ces interactions qui vont contribuer à développer des comportements différents et non pas un quelconque déterminisme biologique conclut alors Catherine Vidal.

La séance s’est ensuite achevée sur un échange autour des « best pratices » en matière de lutte contre les stéréotypes.

J’ai trouvé cet atelier passionnant, pédagogique et très accessible. Il m’a donné envie de connaître plus en détail les travaux de Catherine Vidal et m’a permis de mieux décoder et comprendre les stéréotypes.

Pour aller plus loin sur le sujet et s’amuser à lister l’ensemble des préjugés intériorisés par les femmes, je vous conseille la lecture de cet article, sur lequel je suis tombée par hasard : « La cuisine de femme existe-t-elle ? ». 

Un joli florilège de stéréotypes égrenés par les femmes elles-mêmes :

 « Une femme ne cuisine pas pour séduire ou accomplir un exploit, mais pour nourrir, fédérer. C'est une cuisine tournée vers les autres, quand celle des hommes, réfléchie, carrée, tient plus de la performance »

« Les hommes sont plus techniques, quand les femmes sont rassembleuses »

 « Nous faisons une cuisine plus débrouillarde, plus instinctive peut-être. Moi je cuisine comme si j'étais une femme au foyer qui a de l'argent, du temps et qui veut faire plaisir. La cuisine d'homme est souvent plus technique, elle revêt plus un côté 'show' »

Preuve, s’il en fallait une, que c’est dans les vieilles casseroles que l’on fait les meilleurs stéréotypes !