Jeudi dernier, alors que les sénateurs débattaient du projet
de scrutin paritaire, le sexisme primaire a fait irruption au sein de
l’hémicycle. Il faut dire que le sujet s’y prêtait particulièrement bien.
Un véritable festival de la misogynie ordinaire résumé en
quelques phrases :
"De grâce, pas
d'obsession sexuelle collective. La
parité doit-elle être absolue compte tenu de tout ce qu'on entend sur la
théorie du genre, le mariage pour tous ?"
"C'est
humiliant pour les femmes"
« Il
faut laisser ce binôme juste pour une mandature. Ainsi, les femmes auront eu le
temps de faire leurs preuves"
Un scrutin également qualifié de "totalement baroque", de "gadget ":
"beaucoup de femmes risquent de se retrouver dans le rôle de potiches :
les hommes s'occuperont des dossiers nobles et les femmes des affaires
sociales".
Puis, lors
de la prise de parole de Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise,
cette phrase lapidaire, lâchée sans complexe par Bruno Sido "Mais qui
c’est cette nana ? ".
Sans se
démonter, celle-ci a alors apostrophé le sénateur UMP avec beaucoup de
répartie : "Vous pouvez répéter tout haut, vous venez de dire :
'C'est qui cette nana ?' M. Sido, vous avez gagné la palme de la misogynie
beauf de cette assemblée."
J’avoue que
le calme et le courage de la sénatrice face à ce type de saillie misogyne a
forcé mon admiration. Alors que beaucoup auraient feint de ne pas entendre pour
ne pas faire de vague ou simplement par autocensure, elle a osé répliquer. Je
suis persuadée qu’elle aura force d’exemple pour beaucoup d’entre nous.
Cet épisode
a résonné en moi et m’a poussée à l’introspection. Où en étais-je face à la
misogynie ? Quelles ont été les petites phrases qui ont ponctué ma vie
professionnelle ? Comment ai-je réagi ?
En remontant
le fil, elles me sont revenues peu à peu. Le chef libidineux qui m’annonce en
pleine réunion que s’il n’avait pas été marié, j’aurais tout à fait été son
genre. Le responsable de stage qui me vire du jour au lendemain car j’ai refusé
de dîner avec lui. Le PDG de l’entreprise pour laquelle je travaille en job
d’été qui m’ordonne de ne plus emprunter l’entrée principale mais de passer par
le local à poubelle car mes jupes sont trop courtes. Le N+2 qui me demande de
servir le café en réunion alors que je suis la seule femme. Le journaliste qui
m’aperçoit un livre à la main et me lance étonné « oh mais tu
lis ? » (J’ai échappé de justesse au « tu sais
lire ? ») alors que je travaille au journal « La Tribune »
comme hôtesse. Le client qui me demande « et l’hôtesse, elle coûte combien ? ». La DRH (oui, c’est une femme) qui m’interroge
« Que pense votre mari de votre changement de cap
professionnel ? » puis « Il fait quoi comme métier ? C’est
important si ça ne marche pas pour vous ».
Et puis tant
d’autres phrases.
Certaines
que j’ai oubliées.
D’autres qui
sont trop douloureuses pour être évoquées
Rétrospectivement,
cet inventaire me fait froid dans le dos. Au-delà du contenu nauséabond de ces
saillies, ce sont mes réactions qui me terrifient. Ou plutôt mon absence de
réaction.
Je n’ai
jamais répondu. J’ai toujours acquiescé. Je ne me suis jamais révoltée.
Certes,
j’étais beaucoup plus jeune (à part pour l’épisode avec la DRH qui ne date que
d’un an et demi) mais je ne m’explique pas cet état de sidération et cette sourde
culpabilité qui m’ont laissée sans voix à chaque épisode. Pas plus que cette
capacité incroyable à passer à autre chose sans y laisser trop de plumes. En y
réfléchissant, ces réactions ressemblent étrangement aux sentiments ressentis
après un viol notamment la sidération puis la culpabilité (« est ce
qu’après tout je ne l’ai pas cherché ?).
Grâce à ce
blog, j’apprends progressivement à reprendre la parole.
Grâce à
l’exemple de Laurence Rossignol, je me promets désormais de ne plus laisser
passer ce genre de phrases assassines.
La
culpabilité doit changer de camp.