> Les oiseaux ne sont pas venus ce soir

jeudi 8 janvier 2015

Les oiseaux ne sont pas venus ce soir



Comme pour le 11 septembre, on se souviendra tous de ce qu’on faisait à ce moment-là.

Moi j’étais avec les enfants sur internet. Nous cherchions une mangeoire pour les oiseaux du balcon affamés depuis l’hiver.

Ce devait être un mercredi insouciant, qui sentait bon la galette des rois et les rires.

Mon fils m’avait lancé en enlevant son manteau « J’adore les mercredis ». Moi qui d’habitude peste contre ce jour marathon où je cours d’une activité à l’autre me suis surprise à répondre « Moi aussi j’adore les mercredis ».

J’avais décidé en ce début d’année de chérir chacun de ces petits moments passés ensemble, de moins courir, de profiter car après tout on ne savait pas  jamais combien de temps cette parenthèse enchantée allait durer.

Je m’étais dit qu’apprendre aux enfants à nourrir les oiseaux du balcon serait une bonne idée pour commencer l’année.

Jusqu’à ce que tombe un premier tweet. Des hommes seraient rentrés chez Charlie Hebdo. Une boucherie. Je reste sidérée devant mon écran, quasi hypnotisée. Ma fille me demande ce qu’il y a : « Tu n’arrives pas à trouver la mangeoire pour les oiseaux maman ? ». Ma gorge est nouée. Rien ne sort. Comme dans tous ces moments où elle sent poindre l’angoisse chez moi, ma fille ne me lâche pas. Grimpe sur mes genoux. Me parle sans s’arrêter.

Je l’envoie froidement dans sa chambre.

 Les premiers noms tombent. Charb. Cabu. Wolinski. Je n’ai jamais été vraiment fan de Charlie Hebdo mais j’ai les larmes aux yeux.

La mort de Cabu, c’est toute mon enfance qui disparaît brutalement dans le sang.

Les tartines de beurre salé avalées devant Récré A2 chez mes grands-parents.

Plus tard l’atmosphère enfumée de « Droit de réponse » le samedi soir, la tête sur les genoux de ma mère.

Wolinski, c’est l’odeur inimitable du papier et de l’encre, réminiscences du magasin de journaux de mon père.

Très vite les premières images viennent donner corps à une effroyable réalité à laquelle on ne veut pas croire. Mes premières pensées vont à mon amie dont le père policier s’est suicidé il y a quelques années de cela sur son balcon. Pourvu qu’elle ne regarde pas ça. Pitié.

Les tweets défilent et nous pleurons et souffrons à l’unisson. Parfois juste un « putain » ou trois points de suspension. Juste pour dire que l’on est là. Comme les petits oiseaux du balcon en hiver, nous rapprochons nos plumes bleues les uns contre les autres pour réchauffer nos cœurs et nos âmes.

Seule, j’aurais passé la journée hypnotisée devant mon écran. Mais, comme toujours dans les pires moments, la vie reprend le dessus par la voix de mes enfants, de la manière la plus prosaïque qui soit. « Maman on mange quoi ? ».

J’ai fait à manger, en mode pilote automatique, et n’ai pratiquement pas touché à mon assiette.

Ils ont bien vu que quelque chose clochait. Moi qui ai l’habitude de ne rien cacher à mes enfants, je n’ai pas pu dire. Moi qui interroge régulièrement des pédopsychiatres pour expliquer aux parents comment réagir, comment parler, je n’ai pas trouvé les mots. Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés.

Je n’ai pas pensé que mon fils me prendrait de cours en rentrant de l’escrime.
« Maman, ils ont fermé certaines sorties à l’école. Ils ont parlé de plan et de pirates c’est quoi cette histoire ? ».

J’ai expliqué comme j’ai pu, mal sans doute, mais au moins il l’apprendra de ma bouche et pas de celle de ses copains. J’ai dit que certaines personnes se disent religieuses alors qu’elles sont en réalité des extrémistes qui n’ont rien à voir avec les vraies valeurs de la religion. On les appelle « les fous de D.ieu ». Aujourd’hui, certaines de ces personnes ont tiré sur des journalistes seulement car ils s’étaient moqués d’eux dans leur journal.
« Des journalistes ? Des journalistes » a-t-il répété. Je n’ai pas voulu parler de dessinateurs car mon fils est un dessinateur passionné mais je réalise que le mot « journaliste » l’a touché tout autant.

Je m’attendais à ce qu’il ait peur, à ce qu’il m’assaille de questions ou me demande le nombre de morts.

« Mince, ça veut dire qu’il n’y aura pas de sorties scolaires ? C’est nul ! ».

Les enfants sont décidément imprévisibles.

La journée s’est terminée dans un brouillard flou, le ventre serré. Les images des rassemblements m’ont serré le cœur et on un peu réchauffé ces quelques heures. J’aurais juste aimé les voir au moment de la tuerie de Toulouse.

Nous avons finalement cuisiné notre galette. Nous avons acheté les graines et les avons disposées sur le balcon. Nous avons rempli un petit bol d’eau.

Mais les oiseaux ne sont pas venus hier soir.



2 commentaires:

  1. Même sentiments, même impressions. C'était le même Cabu que toi que j'avais dans le cœur.
    Comme ma fille est ado, je me suis faite happée par les informations en boucle. Juste une pause pour aller au rassemblement. Ma fille est allé prendre un bain en pleine après midi en écoutant de la musique. Elle est plus sage que moi.
    Les oiseaux reviendront.

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  2. Les enfants voient midi à leur porte, pas plus loin ... C'est leur chance au final ! Et c'est vrai qu'ils nous remettent vite les pieds sur terre et nous sortent à la vitesse de la lumière de devant nos écrans qui nous happent si vite

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