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lundi 17 octobre 2011

L'ai-je bien descendu?




Avant on distribuait des bons points à l’école, désormais grâce à Luc Chatel, nos enfants auront le droit à de jolies étiquettes dès la maternelle : « RAS » (rien à signaler), « à risque » ou « à haut risque ». Alors que le projet suscite un tollé dans le milieu éducatif, essentiellement à cause de sa rhétorique militaire, peu de gens savent que ce type d’évaluation est déjà en place depuis 2008 dans le plus grand silence médiatique (voir mon article à ce sujet).



Depuis 3 ans, nos enfants sont testés et notés sur des items qui vont bien au-delà des connaissances théoriques puisque l’évaluation porte également sur le comportement. Et à ce sujet, on n’est pas si loin du projet qui avait fait polémique en 2005 et qui visait à détecter la graine de délinquance en maternelle)!: (L’élève) " agit de manière à respecter l’intégrité de toutes les personnes de son environnement […] ; il ne les agresse pas […], il a recours à la parole en cas de désaccord ou de conflit. Il attend son tour, ne bouscule pas pour passer avant les autres. Il porte attention aux enfants les plus vulnérables, adapte son comportement avec eux, sait les aider si c’est nécessaire ou demander de l’aide pour eux à un adulte. Il utilise spontanément les formules habituelles de salutations (bonjour, au revoir) ou de courtoisie ».



Plus étonnant, la confiance en soi et le contrôle des émotions sont également évalués ! "L’enfant peut se lancer dans une activité nouvelle sans appréhension majeure (il ne dit pas par avance qu’il n’y arrivera pas, qu’il ne saura pas ; il ne se réfugie pas dans l’inaction avec ou sans pleurs) [...]. Il ne questionne pas en permanence le maître (ou un autre adulte) pour se rassurer. Il sait exprimer ses émotions (plaisir, peur, joie…) par le langage et/ou par des comportements pondérés : il ne s’exprime pas par des débordements qui perturbent les autres et la classe (cris, agitation désordonnée, agressivité envers autrui ou envers soi même), il ne se replie pas sur lui-même comme bloqué par l’incapacité d’avancer et de parler de ce qui lui fait problème."



J’ai, pour ma part, pu expérimenter ce type d’évaluation dès la petite section de maternelle avec mon fils car les directives de l’éducation nationale encouragent les professeurs à les débuter dès la première année. Alors qu’à cet âge là, les différences de maturité sont parfois énormes d’un enfant à un autre, que beaucoup d’entre eux traînent encore une tétine et un doudou, on n’hésite pas à les soumettre à des batteries de tests impitoyables et parfois absurdes. Pour exemple, mon fils avait récolté lors de sa première évaluation un « C » en descente d’escalier (car oui, dans cette logique ubuesque, on note même la façon de descendre un escalier. A part pour devenir meneuse de revue, l’intérêt de la chose semble limité). En dépit d’un livret excellent (vous lisez bien, on parle bien de livret en petite section), mon fils n’avait évidemment retenu que cette note désastreuse et s’empressait de répondre « oui mais j’ai eu un « C » en descente d’escalier » dès que quelqu’un le félicitait à ce sujet. Pour le rassurer, j’ai fini par lui dire qu’il prendrait l’ascenseur quand il serait plus grand, comme sa mère.



En dernière année de maternelle, mon fils a de nouveau été évalué, avec cette fois-ci d’excellents résultats dans tous les domaines, même les plus sportifs. Cela n’a pas empêché sa maîtresse de l’inscrire à des cours de soutien. Etonnée, je suis allée la voir et celle-ci s’est empressée de me rassurer en me disant que tous les enfants de la classe y avaient droit d’office. Ces heures étaient dispensées par l’institutrice pendant le temps de la récréation car il n’y avait pas de personnel RASED dédié à cette tâche. Les enfants y faisaient des puzzles, des collages, des dessins, finalement rien qui ne soit vraiment en rapport avec les évaluations. Alors qu’on aurait pu penser que ces heures seraient consacrées à « corriger » les lacunes relevées de façon différenciée, il n’en était rien. Le dispositif est absurde jusqu’au bout.



En tombant par hasard sur un article dans le magazine « Causette » intitulé « Votre enfant est-il pervers ?» (2n degré je précise), je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir un lien avec les évaluations du comportement des jeunes enfants. Pour ne pas être classés « à haut risque » ces derniers doivent, selon les directives de l’Education Nationale porter aide aux plus vulnérables, adapter leur comportement avec eux, en bref ressentir de l’empathie. Or, le psychiatre Boris Cyrulnik nous apprend dans cet article qu’avant 4 ans, un enfant découvre, joue sans réelle conscience de l’autre mais est incapable de compassion ou d’empathie. Ce laps de temps est un minimum nécessaire pour qu’il se décentre de lui-même et puisse se représenter le monde mental de l’autre, différent du sien, certes, mais tout aussi respectable. Quand on sait que dans certaines classes, des différences de plusieurs mois peuvent coexister entre les différents élèves et que tous n’ont pas un processus de maturité linéaire, il apparaît absurde de juger les enfants à l’aune de grilles de comportement formatées. Surtout quand les moyens destinés à corriger ces lacunes sont insuffisants voire inexistants.



Pied de nez du destin, mon fils ne peut s’empêcher de descendre les escaliers 4 à 4 tous les matins dans un fatras tonitruant. La plus belle preuve que ces évaluations sont des oracles menteurs.



1 commentaire:

  1. Cela me renforce dans l'idée de mettre mes enfants dans une école Freinet, quand j'en aurai (encore que je ne sais pas s'il y a des maternelles Freinet).

    Je suis profondément choquée 1. par le fait d'évaluer des enfants sur leur confiance en eux (4 ans, début du cercle vicieux) 2. par le fait qu'on leur donne des notes et qu'ils les connaissent. Je ne pense pas qu'un enfant de 4 ans ait la maturité pour recevoir des notes et les accepter sereinement (l'exemple de ton fils le prouve, il n'a retenu que la mauvaise note). On leur refile des névroses d'adultes qu'ils sont bien trop fragiles pour gérer...

    Cela me rappelle (et c'était il y a quinze ans, il n'y avait pas encore d'évaluations dans des cases – mais c'était la même chose, des attentes identiques qui ne prennent pas en compte les disparités entre les enfants) mon instit de grande section qui avait dit à ma mère que je n'arriverai jamais à apprendre à lire parce que je ne rattrapais pas le ballon. Ironie, j'ai su lire quelques mois plus tard.

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