> "Corps" de Fabienne Jacob

lundi 7 mai 2012

"Corps" de Fabienne Jacob



La quatrième de couverture de ce livre m’avait intriguée et donné envie d’en savoir plus : « Chaque jour, Monika arrive la première à l’institut de beauté. Elle observe, écoute, juge parfois les clientes qu’elle voit défiler dans sa cabine. Toutes lui racontent des histoires, des plus anodines aux plus intimes. Loin des chairs lisses et insipides jetées en pâture à notre imaginaire, Fabienne Jacob fouille l’opacité des corps et brosse un portrait sensible de la femme contemporaine ».
Cependant, après lecture, je me demande s’il s’agit du livre que j’ai lu, tant il est loin de cette description…

Du corps de ces femmes finalement, nous ne savons pas grand-chose, pas plus que des sentiments de la narratrice à leur encontre tant l’auteure tient à distance le lecteur au fil des pages. On reste dans un flou assez désagréable où, ni l’identification ni l’empathie ne peuvent avoir lieu.

Les femmes qui s’allongent sur le matelas de l’institut sont essentiellement décrites à travers des anecdotes : Adèle, la veuve, qui a été tondue à la libération pour avoir couché avec un allemand, Ludmilla la ménopausée qui ne veut pas vieillir, la femme du boucher qui a tout le temps froid. Une galerie de portraits assez figée où l’émotion est constamment absente, la narratrice se contentant d’assener ses vérités toutes faites « il faudrait dire aux femmes d’arrêter de se faire des mèches c’est moche. Qui a inventé ça ? D’arrêter le gloss aussi, qui a inventé ça encore ? La texture des lèvres est une perfection, les lèvres n’ont besoin de rien couleur et matière une perfection. D’arrêter les caleçons aussi. Elles pensent faire ça pour les hommes, le pire est qu’ils n’aiment pas ça ».

Pour être sûre que l’on ait bien compris sa vision tranchée de la beauté, elle nous la sert 2 fois : p 29 « les femmes, c’est mon métier, elles sont belles quand elles sont dans leur vérité. Exactement dans la coïncidence de leurs corps et des années, cela s’appelle la vérité » et p71, à quelques mots près «  une femme est belle quand elle est dans la vérité de son corps, cette personne lui dirait. La vérité du corps est une coïncidence entre les années et la matière de la chair ». Des jugements péremptoires dénués d’émotions ou d’empathie : même quand la narratrice nous décrit la mort de sa mère, on ne ressent rien, électro-encéphalogramme plat.

Il faut dire que la structure du récit, qui alterne entre ces portraits de femmes et l’histoire familiale perturbe la lecture, casse le rythme. Je n’ai pas du tout aimé le style utilisé, très familier, presque sans ponctuation, pas plus que les descriptions faussement naïves: « Dehors la nuit n’était toujours pas tombée. Quand elle tomberait ça ferait comme une nappe noire tirée sur la rue ».

Je n'ai finalement rien appris de ces corps, pas plus des histoires qui auraient pu se lire en filigrane et suis ressortie frustrée et déçue de cette lecture dont j’attendais beaucoup.

Pourtant, quand le style est là et surtout l’empathie, cela peut donner naissance à de sublimes romans chorales, à l’image du « Chœur des femmes » de Martin Winckler. On vibre, on espère, on comprend, on s’identifie…et on quitte les dernières pages de ce pavé à regret.

Dans « Corps », après 114 pages laborieuses, la narratrice conclut par « je n’aime pas quand les choses sont finies » : dans le cas présent, on ne partage pas son avis!

2 commentaires:

  1. Oh...dans ton billet j'apprends deux choses : je dois absolument lire le bouquin de Winckler et les femmes ne sont pas toujours les mieux placées pour parler d'autres femmes = ce bouquin m'a l'air aussi sinistre et froid qu'une avenue d'immeubles staliniens...
    Merci pour ton opinion que je trouve mesurée, constructive et fort bien argumentée!

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  2. Oui c'est exactement ça! Il faut absolument lire "le Choeur des femmes", ce livre est un bijou (comme "la maladie de Sachs" que j'avais adoré aussi)

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