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samedi 19 février 2022

Comment dire "non" au travail sans avoir peur de passer pour un pitbull ou une tire-au-flanc?

 


 Dans un précédent article « Et si on arrêtait d'acheter le gâteau? De la charge affective des femmes au travail » j’ai mis en lumière le poids des tâches liées au "care" (au travail affectif) que les femmes prenaient en charge au travail : s’occuper de l’onboarding des nouveaux/nouvelles, consoler des collègues, les aider, penser aux cadeaux d’anniversaire, rédiger des tutoriels. Au bureau, 20% du temps de travail des femmes serait ainsi consacré à ces tâches "gratuites"

Pour ne pas rester au simple stade du constat, je me suis dit qu’il serait intéressant de vous aider à passer à l’action : voici donc quelques conseils pour apprendre à dire « non » au travail sans avoir peur de passer pour un pitbull ou une tire-au-flanc.

3 étapes d’introspection pour changer votre regard sur le « non »

Etape 1 -Faites le point sur vos besoins : en tant que fille, notre éducation ne nous a pas habituées à nous écouter mais plutôt à faire passer les besoins d’autrui avant les nôtres. A dire oui même quand nous pensons non, à faire plaisir, à être polie, bonne élève et surtout pas trop revendicative.

Examiner vos besoins régulièrement est pourtant fondamental car cet exercice permet de poser des limites claires et de prendre des décisions éclairées.

 Il ne faut donc pas hésiter à prendre rdv avec vous-même, plusieurs fois dans l’année pour vous demander : « De quoi ai-je besoin dans ma vie en ce moment ? : de plus de temps pour moi? De davantage de reconnaissance ? De stimulation ? Est-ce que la demande qui m’a été faite me permet de nourrir ce besoin ou répond uniquement au besoin de mon interlocuteur ? Quand je lui dis oui, à quoi dis-je non pour moi ? ». Pour reprendre les mots de l’entrepreneur et auteur Derek Sivers : « If it’s not a hell yes, it’s a no » (« Si ça n’est pas un putain de oui, c’est non ! »).

Etape 2 -Demandez-vous pourquoi vous dites oui : très souvent chez les femmes que j’accompagne, derrière le « oui », se cache le désir d’être appréciée, de faire plaisir ou la peur d’être considérée comme incompétente ou tire au flanc. Tout ces croyances sont largement alimentées par les stéréotypes de genre : comme on l’a vu dans l’article précédent, le regard porté sur les collaboratrices qui refusent de rendre des services est généralement plus sévère que celui porté sur leurs homologues masculins. Et il flotte souvent autour des femmes une présomption d’incompétence qui les oblige à sur-travailler ou à faire plus que ce qui leur est demandé.

Il est pourtant très important de savoir marquer ses limites. Je l’ai souvent remarqué, une personne qui dit « non » fermement et avec des arguments posés est bien plus respectée que la bonne poire qui dit oui à tout, quitte à charger la mule et à ne plus arriver à mettre en œuvre les missions qui lui sont assignées.

Etape 3 - Déconstruisez vos croyances autour du « non » : dire non ne veut pas dire taper sur la table, claquer la porte, s’imposer ou hausser le ton. On peut tout à faire dire non de manière polie, argumentée et en respectant les besoins d’autrui, nous le verrons plus loin dans cet article.

Quelques conseils pour apprendre à dire non :

- Entraînez-vous à dire non : vous pouvez commencer par de petites choses au début comme refuser la carte de fidélité qu’essaie de vous refiler votre magasin de vêtements préférés ou le soin à 15€ que vous propose votre coiffeur. Ou encore décliner votre participation au pot de départ de ce collègue qui vous a pourri la vie depuis son arrivée dans la boîte. En vous entraînant avec des actions à faible enjeu, vous prendrez de l’assurance et vous verrez que la terre ne s’ouvre pas sous vos pieds quand vous dites non.

- Préparez une liste de réponses toutes faites : quand j’ai commencé à travailler à mon compte, j’ai reçu beaucoup de sollicitations, plus ou moins intéressantes, plus ou moins rémunérées. J’ai dû à chaque fois arbitrer en fonction de mes besoins et objectifs et ça a été l’occasion parfaite pour apprendre à dire « non » poliment et fermement. J’ai depuis préparé une liste de réponses toutes faites qui me font gagner du temps et m’évitent de trop avoir à tergiverser.

Quelle que soit votre décision, ne laissez pas passer trop de temps avant de répondre afin de ne pas donner une mauvaise image ou mettre dans l’embarras votre interlocuteur. Ne vous répandez pas non plus en justifications, soyez ferme et simple dans votre réponse.

- Prenez le temps de donner votre réponse : trop souvent, poussée par l’urgence du besoin de son interlocuteur on répond trop rapidement, quitte ensuite à s’en mordre les doigts. La première chose à faire est de reformuler la demande histoire de temporiser et mettre l’autre face à ses responsabilités. « Si je comprends bien, tu veux que je reprenne ce dossier, qui est déjà hors délai, en plus des 5 dossiers que j’ai à gérer, j’ai bien compris ta demande ? ». En général, votre interlocuteur acquiescera et sera légèrement déstabilisé face à l’énoncé de la demande , surtout si elle est exagérée. Quant à vous, vous aurez gagné un peu de temps. Ensuite, montrez que vous avez compris son besoin : « Les ressources en interne sont débordées, tu as donc besoin d’efficacité et de clarté, c’est pour cela que tu te tournes vers moi c’est bien cela ? ». Suite à sa réponse, réservez-vous le droit de ne pas y donner suite immédiatement. « J’ai bien entendu ta demande. Comme tu le sais, être efficace est très important pour moi. C’est pourquoi, j’ai besoin de faire le point sur mes dossiers en cours : je ne veux pas te dire oui et ensuite fournir un travail qui n’est pas à la hauteur de mes attentes en terme qualité. Je reviens vers toi dans l’après-midi sans faute, j’ai compris que c’était important pour toi ».

- Proposez une alternative : si vous le souhaitez, vous pouvez répondre « Oui, mais… » : « Ok pour prendre en charge ce dossier si j’ai un délai supplémentaire/des personnes en interne pour m’aider/la possibilité de déléguer un autre projet ». Mais aussi « Non, mais … » : « Désolée, je ne peux pas t’aider, en revanche je peux te recommander une personne très compétente sur le sujet/je ne peux pas prendre ce sujet en intégralité, en revanche, je veux bien apporter mon expertise sur un point en particulier »

- Ecoutez vos émotions : Si on se sent dépassé.e par la colère car on vient une énième fois vous demander un service, plutôt que d’y céder, il vaut mieux prendre un temps d’arrêt, sortir prendre l’air et faire une pause. Cette émotion doit être entendue comme un clignotant sur un tableau de bord : c’est le signe qu’un de vos besoins est contrarié. L’idée n’est pas ici de la refouler en fumant une cigarette, en vous jetant sur votre téléphone pour scroller indéfiniment ou sur une tablette de chocolat. Mais plutôt de la prendre comme un messager qui essaie de vous dire quelque chose : une limite a été franchie.

Pour conclure, je reprendrai les mots du psychosociologue Jacques Salomé, "Oser dire non à l’autre, c’est oser dire oui à soi-même" . Alors, vous commencez quand ?

 


lundi 14 février 2022

Un coaching bénévole ça vous dit?


 

Vous avez du mal à atteindre vos objectifs personnels ou professionnels, vous êtes freiné.e par des peurs et des croyances ?

Vous procrastinez, partez dans tous les sens, avez besoin d’un œil expert pour vous aider à y voir plus clair ?

Si ça vous parle, ce message est pour vous : je vous propose un coaching bénévole !

Consultante en gestion de carrière depuis 3 ans, j’ajoute aujourd’hui une nouvelle corde à mon arc en suivant une formation certifiante de coach professionnelle à la Haute Ecole de Coaching.

Dans ce cadre, je suis à la recherche de 3 personnes à coacher gratuitement afin de valider ma formation et obtenir ma certification.

Qu’est-ce qu’un coaching ?

Un coaching est l’action d’accompagner une personne vers son objectif futur, qu’il soit professionnel ou personnel. Il ne s’agit ni d’une prestation de conseil ni de formation.

Qui peut être coaché.e ?

Toute personne peut être coachée à condition d’être dans un état d’esprit positif, d’être motivée et d’avoir une vraie volonté et ouverture face au changement.

Le coaching dans le cadre de ma formation n’est pas forcément adapté aux personnes souffrant actuellement de dépression, de burn-out ou d’angoisses.

Pour des raisons de neutralité, je ne peux coacher aucun.e ami.e ou membre de ma famille ou plus largement une personne avec qui j’ai un lien affectif ou de proximité.

Enfin, la personne coachée doit avoir plus de 24 ans.

Quels sont nos engagements réciproques ?

Je m’engage à vous coacher avec rigueur et bienveillance au moyen d'outils et méthodes éprouvés. 

Je serai supervisée par un coach senior de la Haute Ecole de Coaching et vous ferai signer un contrat de coaching.

En formation, je ne peux facturer ma prestation. C’est un échange de services : en contrepartie vous me permettez d’obtenir ma certification en vous engageant jusqu’au bout de la démarche d'une durée de 3 mois environ, avec implication et motivation. 

J’insiste sur l’importance de cet engagement, dans la durée et jusqu’à la fin du coaching.

Sur quelles thématiques le coaching peut-il porter ?

En coaching, toutes les thématiques peuvent être abordées mais je souhaiterais si possible privilégier les sujets autour de la sphère professionnelle : souhait de créer son entreprise mais peur de se lancer, difficulté pour passer à l’action, dépasser le manque de confiance en soi au travail, déséquilibre vie pro-vie perso etc…et toutes les demandes que vous pourriez avoir et que nous pourrons traiter ensemble.

Quelles sont les modalités pratiques ?

Un coaching dure environ 3 mois à raison d’une dizaine de séances d’1h à 1h30 espacées d’une semaine à 10 jours (sur une période allant de maintenant jusqu’à juillet). Le coaching a lieu en distanciel, en visio.

Comment débuter ?

Si vous êtes intéressé.e et motivé.e par la démarche et que vous remplissez les conditions énoncées ci-dessus, n’hésitez pas à remplir le questionnaire ci-après : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSe7FmdRWE-kU3QmUYkyKLpOebXd1MT9RvXnkx58VMVZspCsyg/viewform?usp=sf_link

Si vous êtes retenu.e, je vous contacterai rapidement pour convenir d’un bref échange téléphonique afin de fixer notre premier rdv.

N’hésitez pas à partager cette information aux personnes autour de vous susceptibles d’être intéressées.

Merci par avance!

Edit du 17/02/2022 : le questionnaire a été désactivé car j'ai trouvé les 3 personnes à coacher, merci à toutes et tous pour votre participation! N'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez être tenu.e au courant de mon offre, une fois que je serai certifiée (en septembre si tout va bien!). Par ailleurs, je continue toujours les bilans de compétences, même si mon agenda est très réduit à cause de ma formation. Contrairement au coaching, il peut être pris en charge par votre CPF, je vous explique tout dans cet article.

dimanche 6 février 2022

Et si on arrêtait d'acheter le gâteau? De la charge affective des femmes au travail

 

Il y a quelques années de cela, une publicité pour voiture déclarait "Le vrai luxe c’est l’espace".

Après avoir accompagné plus d’une centaine de femmes dans le cadre de bilan de compétences, je mettrais à jour aujourd’hui cette signature publicitaire en la remplaçant par :"Le vrai luxe c’est le temps".

En effet, cette question est cruciale dans la quasi-totalité de mes accompagnements. 

"Comment faire pour avoir plus de temps?" me demandent régulièrement mes clientes. A la maison, tout d’abord, entre les tâches ménagères, la charge mentale, les devoirs et le soin apporté aux enfants. 

Au travail, ensuite, entre les réunions à répétition, les mails qui s’entassent et le surtravail. 

En effet, quand vous êtes une femme, vous devez travailler 2 fois plus pour montrer que vous méritez votre place, pour prouver à la personne qui vous a embauchée qu’elle a eu raison de vous faire confiance. Et c’est encore pire si vous exercez dans un milieu masculin ou à une place de pouvoir, si vous êtes une femme racisée, en situation de handicap ou LGBTQI:  vous êtes LA femme-quota et à ce titre vous représentez TOUTES les femmes. Vous n’aurez donc pas le droit à l’erreur au risque de jeter l’opprobre sur l’ensemble des représentantes de votre genre. Vous êtes de fait soumise à une implacable injonction d’exemplarité et de réussite.

Certains employeurs ont bien compris qu’il était très rentable d’embaucher une femme. Un recruteur s’est ainsi récemment vanté dans un billet qui se veut engagé d’avoir eu le courage d’embaucher une candidate enceinte. (spoiler : c’est juste la loi). Ce grand bienfaiteur de l’humanité a rapidement compris que c’était tout bénéf pour l’entreprise : "Pendant ses premiers mois, elle a largement confirmé le bien que je pensais d’elle. C’était une excellente décision que je n’ai pas regrettée. Au contraire même, assez fier, car beaucoup des projets qui avaient pris du retard étaient déjà rattrapés et une très bonne dynamique d’équipe s’était installée.

Plus inattendu et important à savoir pour tout manger à qui cela arrive: les débuts d’Irène. Je n’avais pas anticipé son énorme dévouement, largement disproportionné. “Forcément que je vais me surpasser pour une entreprise qui défend ce genre de valeur. Ça donne envie de s’engager à 200%.” Elle a confessé qu’elle voulait absolument démontrer que l’attendre était une bonne décision. Passionnée, elle a absorbé plus de tâches qu’elle ne le devrait".

Une étude a, par ailleurs, récemment prouvé que les femmes évitaient de demander plus de temps pour accomplir leurs tâches professionnelles, même lorsque les délais sont explicitement ajustables, ce qui nuit à leur bien-être et à leur performance dans les tâches. "Contrairement à leurs homologues masculins, elles seraient moins à l’aise pour demander plus de temps de travail, ce qui laisse présager un sentiment plus fort de pression temporelle et d'épuisement. En cause, la crainte d’être un fardeau pour leurs collègues, pour leur supérieur, ou de paraître incompétentes". L’étude a également démontré une prédominance féminine au burn-out en raison de la place des femmes dans le milieu du travail, de leur rapport à la hiérarchie et au temps.

Ce que j’ai pu observer très largement auprès des femmes que j’accompagne, c’est le poids des tâches liées au "care" (au travail affectif) qu’elles prennent en charge au travail : s’occuper de l’onboarding des nouveaux/nouvelles, consoler des collègues, les aider, penser aux cadeaux d’anniversaire, rédiger des tutoriels. Au bureau, 20% du temps de travail des femmes serait ainsi consacré à ces tâches  "gratuites", nous apprend cet article de Pauline Rochart. Un travail invisible, coûteux en énergie, peu valorisable et qui pèse à long terme sur la carrière des femmes. En y consacrant du temps, elles n’en ont plus pour les missions stratégiques. Une de mes clientes s’est ainsi vu refuser une promotion au motif qu’elle n’était pas organisée. Elle passait beaucoup de temps à aider ses collègues, à trouver des solutions pour qu’ils travaillent mieux et à les écouter lorsque la société subissait un rachat difficile. Au dépend des dossiers stratégiques et exposés.

 Son collègue masculin, qui travaillait porte fermé et ne disait pas « oui » à tout a, lui, décroché le poste. 

En mai dernier, une journaliste américaine pointait cette différence dans un article au vitriol cité par Pauline Rochart: "It’s not your job to buy the cake" ("Ca n’est pas votre boulot d’acheter le gâteau").

Mais comme on ne peut pas se contenter de dire aux femmes "Mesdames, osez" pour briser le plafond de verre, il en est de même pour le renoncement à toutes ces tâches invisibles. Il n’est pas si simple d’arrêter d’acheter le gâteau tant les stéréotypes pèsent de toutes parts, Sheryl Sandberg l’explique très bien dans ce passage de son livre "En avant toutes" :

« Quelqu’un qu’un homme a aidé se considérera comme son obligé. Il y aura de fortes chances qu’il lui renvoie l’ascenseur. Une femme qui donne un coup de main suscite en revanche un sentiment de reconnaissance moindre. C’est dans sa nature de se montrer solidaire non ?Aider les autres ? Elle ne demande pas mieux. Le professeur Flynn parle à ce propos de « dévaluation sexiste » : sur le plan professionnel, les femmes paient le prix de l’importance que l’on suppose qu’elles accordent à la solidarité. A l’inverse, quand un homme tend la main à un collaborateur, on part du principe que cela lui coûte et, en compensation, il reçoit de meilleurs appréciations, des augmentations de salaire ou des primes. Plus frustrant encore : une femme qui refuse de donner un coup de main à droit à des évaluations ou des gratifications revues à la baisse. Qu’en est-il d’un homme qui refuse son aide ? Il s’en tire sans conséquences » (source de l’étude).

Linda Babcock professeur d’économie a récemment démontré dans le cadre d’une étude menée avec 4 autres collègues que les femmes passaient beaucoup plus de temps que les hommes à effectuer des tâches invisibles qui ne leur permettaient pas d’obtenir une promotion.

Ce qui est intéressant, c’est que les femmes ont également intériorisé ce stéréotype :

"Quand vous avez besoin de demander une faveur à quelqu'un, les hommes et les femmes s'en remettront plus facilement à une femme", explique l’une des chercheuses. "En partie car celles-ci acceptent plus volontiers". En effet, dans un groupe composé d'une majorité d'hommes, les femmes se proposeront en premier. En revanche, quand celles-ci se trouvent dans un groupe exclusivement composé de femmes, elles attendent que leurs collègues féminines se manifestent.

Pour les hommes, c’est l’inverse: dans un groupe uniquement masculin, ces derniers proposent leur aide bien plus rapidement que dans un groupe mixte.

La chercheuse conclut en ces termes : "Ce ne sont pas seulement les hommes qui demandent toujours des services aux femmes. Les femmes sont également susceptibles d'aller plus facilement demander une faveur à une femme. Il s'agit donc de sensibiliser tous les managers à ces biais subtils".

Arrêter d’acheter le gâteau sera donc insuffisant si ce geste ne s’accompagne pas d’un changement de mentalité plus large en entreprise.


dimanche 2 janvier 2022

Girlboss ou sorcières : à quand d’autres modèles d’ambition féminine ?

 


Souvent, les femmes que j’accompagne dans le cadre de bilan de compétences ont des croyances très ancrées au sujet de la réussite et de l’ambition : une femme qui réussit perd forcément quelque chose, être ambitieuse c’est avoir les dents qui rayent le parquet, viser haut c’est être présomptueuse. Pour les aider, je leur demande alors de me citer des femmes qui, a leurs yeux, ont réussi et qui pourraient les inspirer. En premier lieu, elles évoquent généralement des membres de leur famille : une mère, une grand-mère, une tante. Puis, arrivent quelques figures connues : Simone Veil ou mère Teresa. En dehors de ces 2 sphères soit familiales soit iconiques, toutes 2 éloignées dans le temps, pas d'entre-deux. Elles n’arrivent généralement pas à citer une femme de leur cercle professionnel, plus ou moins proche. Pas de mentor, pas d’entrepreneuse ou de dirigeante. Personne à qui s'identifier dans le monde du travail.

Pourtant, je crois profondément en l’importance des role models. On ne peut pas imaginer, désirer, se projeter dans quelque chose que l’on ne voit pas. Comment prendre sa place professionnellement si on a constamment l’impression d’être une extra-terrestre, une femme quota, une pionnière ?

Il faut dire que, question représentation, notre société ne leur facilite pas la tâche.

Dans la culture populaire, les femmes ayant réussi dans le monde de l'entreprise sont souvent représentées comme des des pimbêches prêtes à tout pour réussir et tyrannisant leurs subordonnées (cf "Le diable s'habille en Prada"), on appelle cela le "Queen bee syndrome" (syndrome de la reine de la ruche).

 

Malheureusement, l’actualité a donné raison à cette représentation : les « girlboss » de plusieurs medias féministes (Louie Media, La Poudre ou Les glorieuses) ont ainsi récemment été épinglées pour leur management toxique.

En dehors de la girlboss, figure repoussoir de la réussite féminine, point de salut ? Un autre modèle de pouvoir a récemment émergé : celui de la sorcière. Il y a quelques jours, dans un podcast dédié à l’ambition féminine, j’ai ainsi vu passer cette interview : « Dans son dernier livre « Sorcière moderne », conçu comme un grimoire, on y trouve de nombreux thèmes à explorer pour nous reconnecter à notre puissance féminine !

Nous avons donc parlé de l’influence et vertus des plantes mais également des pierres (ce que l’on appelle la lithothérapie), de l’impact de la lune sur notre cycle, de l’astrologie, d’animal totem, d’oracles, de rituels et j’en passe… A l’heure où nous avons été éduqués à penser plutôt rationnellement, nous nous sommes progressivement éloignés de notre intuition et de notre puissance féminine intérieure et cette conversation est une invitation à s’y reconnecter ».

On trouve résumé ici en quelques lignes une tendance qui a investi progressivement le champ de l’accompagnement professionnel : un gloubiboulga fait d’ésotérisme,  d’oracles et de sorcellerie bon marché. Trouvez votre métier de rêve dans le marc de café, reconnectez-vous avec votre sorcière intérieure pour être puissante au travail. Entre bénédictions de l’utérus et glorification d’un soi-disant « féminin sacré », on tombe très vite dans l’essentialisme le plus basique (je vous conseille à ce sujet les 2 excellents épisodes du podcast "Méta de Choc"), le féminin incarnant par définition dans cette optique new-age la douceur, la créativité et la fertilité. 

Plutôt « old age » comme vision des femmes en somme.

Pourtant, ces pratiques ésotériques se veulent féministes, comme l'explique cet article du Monde au sujet du succès de l'astrologie en Argentine : « Le public des cours d’astrologie est pour l’essentiel des femmes, urbaines, de classe moyenne », relève Karina Felitti, historienne au Conicet. «L’astrologie est déjà présente en Argentine dans les années 1960, c’est alors une contre-culture, à une époque de violence politique », retrace-t-elle. Mais pour la chercheuse, l’essor récent est nourri par le mouvement féministe, qui a pris de l’ampleur en Argentine en 2015, lors de grandes manifestations réclamant une politique publique efficace face aux féminicides, et en 2018, lors de la mobilisation pour la légalisation de l’avortement (approuvée le 30 décembre 2020). « Le mouvement féministe est lié à une meilleure connaissance de soi, dans le but de pouvoir décider de sa propre vie. Or l’astrologie apparaît comme un outil de connaissance. » La pandémie, ses incertitudes et le temps supplémentaire qu’a parfois accordé le confinement ont parachevé l’élan astral"

Ce qui est profondément paradoxal, c’est que ces discours nous vendent de l’ « empowerment féminin » alors qu’en réalité c’est tout l’inverse. Remettre ses choix dans les mains de « forces occultes » c’est sous-entendre que l’on n’est pas capable d’agir ou de décider seule. C’est confier à autrui son pouvoir d’agir. Le magazine « Elle », qui a bien flairé la tendance, a récemment déclaré s’engager pour l’écoféminisme…en organisant un événement intitulé « Elle sorcières » : « Odile Chabrillac, sorcière, naturopathe et auteure de « Sortir des bois- Manifeste d’une sorcière d’aujourd’hui » nous apprend à nous reconnecter à notre énergie profonde en renouant avec notre corps, la nature et la spiritualité pour enfin retrouver son pouvoir ».

Après des années à batailler pour sortir les femmes du registre de l’intuition, de l’irrationnel ou de leur statut d’utérus sur pattes, voilà que ce genre de doctrine les y ramène de nouveau.

Affirmer que l’on ne peut tirer notre puissance que de l’astrologie, des oracles et de la sorcellerie c’est vraiment se résoudre à n’être qu’influentes qu’à ces endroits-là. Et c’est un sacré aveu d’échec.

Pendant qu’on fait mumuse avec nos pierres et nos incantations, les hommes, eux, réseautent et font avancer leur carrière.

Soyons clair.e.s : je ne critique absolument pas les femmes qui pratiquent la lithothérapie ou se tirent les cartes à titre personnel. Si ces croyances les aident au quotidien, je n’ai aucun problème avec ça. En revanche, en faire un modèle économique ou vendre cela comme de l’empowerment me gêne beaucoup plus.

Surtout que sous ses dehors folkloriques et apparemment inoffensifs, ce business ésotérique est plus dangereux qu’on ne le pense. Comme l’explique cet article de Charlie Hebdo dans lequel j’ai été interviewée, la Miviludes a déjà été saisie pour des coachings concernant le « féminin sacré » ou la « bénédiction de l’utérus ». «  Des témoignages auprès de l’organisme dénoncent une emprise psychologique chez-moi des femmes fragilisées » « Les praticiennes en féminin sacré ne sont souvent pas formées pour accompagner des victimes d’expériences traumatisantes ».

A quand un bon coup de balai (pas forcément magique) pour faire le ménage parmi ces apprenties sorcières ?


dimanche 14 novembre 2021

Lettre à Lisa


 Chère Lisa,

Je prends la liberté de t'appeler par ton prénom alors que tout le monde ne te connait qu'en tant que "joggeuse", c'est ma façon à moi de te redonner une identité et un semblant d'humanité.

Ces derniers temps, les médias n'ont parlé que de toi, même s'ils n'avaient rien à dire, juste histoire de surfer sur l'indignation publique et alimenter la machine à clics. D'imprudente (quelle idée d'aller courir quand on est une femme) tu es passée sans transition à ennemi public numéro 1.

Tu dois payer pour ton mensonge. Tu mérites l'humiliation publique. Peu importe si on ne sait rien de toi, de ton histoire personnelle ou psychologique.

A peine la nouvelle de ton affabulation ébruitée, les chaînes d'information en continu se sont empressées de tendre le micro à tes voisins pour qu'ils rendent leur sentence irrévocable.. Il fallait bien nourrir la bête.

Moi-même, lorsque j'ai appris que ton histoire d'enlèvement avait été inventée, j'avoue t'en avoir voulu. Les femmes n'avaient pas besoin de ce genre de faux témoignages, surtout en ce moment. Et puis, mon cerveau a pris le pas sur mon émotion et j'ai réalisé : quoi qu'il en soit, les femmes ne sont pas crues. Quoi qu'il en soit elles ne sont jamais de bonnes victimes.

Dans le passé, une autre "joggeuse" en avait fait les frais, Alexia Daval (qui n'est d'ailleurs jamais partie courir). Très vite, les jugements et conseils aux femmes imprudentes  ont bruissé un peu partout suite à sa disparition.

Dans ton cas, il n'a fallu que quelques heures pour qu'un général de gendarmerie viennent expliquer aux femmes qu'il est imprudent de courir seule.Pourtant, comme l'explique Valérie Rey-Robert ce type de meurtre reste de l'ordre de l'exceptionnel : en dix ans il y a eu moins de dix femmes tuées par des inconnus alors qu’elles faisaient du jogging.

Je répète souvent que le foyer est le lieu de tous les dangers pour les femmes : c'est là qu'elles ont le plus de probabilités d'être tuées, bien plus que dans une forêt sombre ou dans un parking. Accuser les victimes plutôt que clouer au pilori les meurtriers c'est un grand classique, ça s'appelle le victim-blaming. 

C'est tellement fréquent que j'en ai fait un Tumblr intitulé "Les mots tuent". Tous ces articles (près de 400 à ce jour) relaient les mêmes rengaines sexistes.

Est- ce que la victime ne l'a pas un peu cherché? Est-ce qu'elle ne portait pas une tenue provocante ? Est ce qu'elle ne fait pas ça pour vendre son livre ? Est-ce qu'elle n'avait pas une personnalité écrasante ? Pourquoi elle n'est pas partie ? Pourquoi elle est partie ? Face tu perds, pile je gagne.

Heureusement, tu n'as pas été assassinée. Pour autant, certains semblent ne pas s'en réjouir et s'indignent que ton identité ne soit pas jetée en pâture au motif que tu as fait perdre leur temps aux équipes de gendarmes. On peut en effet le déplorer : pour autant, où sont ces indignés quand les auteurs de féminicides font tourner les forces de l'ordre en bourrique à force de mensonges et contradictions ? 

Dans l'affaire Daval, bien que les gendarmes aient rapidement porté leurs soupçons sur Jonathann Daval, ce n'est qu'au bout de trois mois d'investigations qu'ils se sont clairement orientés vers ce dernier grâce à un nouveau témoignage, fourni par un des voisins du couple. 3 mois. Un mensonge bien réfléchi  et minuté, puisqu'il avait même pris soin d'écrire le scénario des deux jours suivant la disparition d'Alexia Daval. Une antisèche rédigée une semaine après les faits et que les gendarmes retrouveront sur son ordinateur. Il avoue à la cinquième audition, le 30 janvier 2018. Mais il prétend que c'est un accident. Puis qu'il n'a pas brûlé le corps. Six mois plus tard, il se rétracte et accuse son beau-frère, Grégory Gay. Ici, pas d'indignation pour le temps perdu par les gendarmes. On préfère pointer les "crises d'hystérie" d'Alexia, sa personnalité écrasante.

Tu vois Lisa, même morte, une victime n'est jamais une bonne victime.

Dans ton cas, le mensonge a été très rapidement mis à nu, ce qui devrait rassurer ce qui craignent les faux témoignages de femmes. Ils sont très minoritaires, ne résistent pas à l'épreuve du temps et les accusatrices ont beaucoup plus à y perdre qu'à y gagner.

Je ne sais pas ce quels démons t'ont conduite à fuir et à mentir : sache que par ces quelques mots, sans doute vains, je t'assure de mon soutien pour les jours à venir.

J'espère que tu es bien entourée.

Le jour où on utilisera la même énergie et indignation pour vilipender les agresseurs, les violeurs et les assassins, je me dis que la culpabilité aura changé de camp.

La route est encore longue.

Prends bien soin de toi.


samedi 6 novembre 2021

Red flags : ces offres d’emploi qui font fuir les candidats (et spécialement les femmes)

 

Récemment, j’ai été interviewée au sujet des red flags en recherche d’emploi, ces petits drapeaux rouges que l’on repère lors des entretiens et dans les annonces et qui crient en nous « Fuyons ! » (vous pouvez me lire à ce sujet chez Maddyness et dans le numéro d’octobre de Néon magazine).

 

On a tous ses propres signaux d’alerte, en fonction de son âge, de son genre, de ses valeurs et de ses besoins.

 

Voici les miens :

- Le tutoiement : c’est sans doute une question de génération mais le tutoiement dans une annonce a le don de me faire hérisser le poil, je l’interprète vraiment comme une marque de fausse connivence. D’autant que sous ses dehors cools et sympathiques, le tutoiement n’en est pas moins le reflet d’un certain rapport de pouvoir. Maëlle Le Corre l’explique ainsi très bien dans son article « Recrutement : ce que cache le tutoiement » : « Tutoyer quelqu’un sans son assentiment revient en effet à l’inférioriser, à signifier l’absence de toute déférence à son égard. » souligne le sociologue Alex Alber dans son travail de recherches sur la pratique du tutoiement dans les rapports hiérarchiques en entreprise. Il s’appuie notamment sur l’enquête de l’ethnographe Denis Guigo pour montrer que la pratique du tutoiement en entreprise reste conditionnée par le genre (les hommes tutoient davantage que les femmes), l’âge (on tutoie plus facilement les personnes qu’on identifie comme étant de la même génération) et la position hiérarchique (on s’autorise plus à tutoyer quand on est soi-même élevé dans la hiérarchie) »

- Le nombre d’expressions en anglais par ligne : même si certains métiers l’exigent, le recours trop fréquent à l’anglais dans une annonce a le don de faire s’allumer mon radar à bullshit. Faites attention: à abuser de l’anglais, on tombe très vite dans le pipotron et on devient malgré soi un même sur Twitter:


 - Les expressions type hacker/ninja/rockstar/barbus : clairement, je n’imagine pas une femme quand je lis ces mots, ne vous étonnez donc pas de ne pas arriver à recruter de talents féminins si vous les utilisez dans une annonce

- Couteau suisse : souvent utilisée dans les petites structures, cette expression est un point d’attention. De la compta au community management, elle sous-entend que l’on va sans doute être amené.e à faire toutes sortes de tâches sans beaucoup de moyens à disposition

- On est une grande famille : le travail c’est avant tout un contrat dans lequel on cède sa force de travail contre rémunération alors que cette expression brouille les limites et introduit une part d’affectif qui n’a pas lieu d’être. L’amour inconditionnel que l’on porte à sa famille n’est pas transposable au monde de l’entreprise.

- Baby-foot et afterworks à gogo : arguments souvent utilisés pour contrebalancer une charge de travail excessive, ils trahissent également une grande porosité entre la vie pro et perso et peuvent incarner une « bro culture » où les femmes auront du mal à trouver leur place.

- Bonne résistance au stress, capacité à travailler sous pression, grande disponibilité demandée : autoroute directe vers le burn-out, ces expressions peuvent être également des repoussoirs pour les femmes qui ne souhaitent pas sacrifier leur vie de famille. D’après une étude Indeed 2019, les femmes priorisent davantage que les hommes les questions d’horaires (69% contre 59% pour les hommes).

- Les demandes exagérées : à l’image de cette annonce : questionnaire, vidéo, appel entretien culture, appel entretien technique, appel entretien final, 3 appels de référence. Et pourquoi pas un mars et le plan stratégique de l’entreprise à 5 ans ?


Bon, là c’est pas un red flag mais carrément le grand pavois !

Les mots utilisés dans les annonces sont loin d’être anodins et peuvent même constituer de véritables repoussoirs pour les femmes. Pour contrer cela, les recruteurs chez Slack utilisent une plateforme appelée Textio, capable de détecter les biais inconscients d’une offre d’emploi.

Car même avec la meilleure volonté du monde, on n’est pas à l’abri de stéréotypes de genre.

Ainsi, vendredi dernier, j’ai relayé cette annonce tweetée par Jade Le Maître :

Au programme du processus de recrutement : 4 entretiens avec des hommes puis comité d’accueil avec bière et partie de FIFA. On a vu plus inclusif ! 

Sans tomber dans ce genre d’annonce caricaturale, les stéréotypes de genre peuvent se nicher là où on ne les attend pas et dissuader indirectement les femmes de postuler. Cet article explique ainsi que Textio, l’entreprise américaine évoquée plus haut, a analysé plusieurs centaines de millions d’offres d’emploi . « Les résultats sont éloquents : si une annonce contient le verbe « diriger », alors les femmes postulent moins que les hommes. Changez ce verbe par « construire », et les profils seront bien différents ! Des chercheurs américains s’étaient déjà penchés sur le sujet en étudiant la portée des mots « leaders », « compétitifs », qui réfèrent plus volontiers à la gent masculine. Les femmes étant plus sensibles aux vocables tels que « relations interpersonnelles », « soutien » ».

Et puisqu’une image vaut mieux qu’un grand discours, je ne peux que vous inviter à vous pencher sur cette illustration de @PeemaMin avant de rédiger vos annonces !

 


 

 


dimanche 31 octobre 2021

Non, vous ne souffrez pas du syndrome de l’imposteur, vous travaillez juste avec des abrutis !

 

Le magazine « Society » titrait ce mois-ci « la grande illusion : comment le développement personnel leur a gâché la vie ». Même si le dossier pointait des éléments intéressants, je l’ai trouvé un peu manichéen, mélangeant allégrement gourous, escrocs et simples auteurs proposant à leurs lecteurs des outils ne faisant de mal à personne, à défaut de faire du bien à tout le monde.

Pour autant, le magazine a mis en lumière un point qui mérite notre attention : comment l’ultra-vulgarisation de concepts de développement personnel peut finalement être plus contre-productif qu’aidant. En responsabilisant les individus plutôt qu’en dénonçant des phénomènes systémiques, il rend chacun.e maître de son bonheur (ou de son malheur) sans jamais remettre en question les organisations ou les systèmes qui les entretiennent.

Je l’ai constaté fréquemment chez les femmes que j’accompagne. Presque toutes les personnes qui me sollicitent en ce moment évoquent lors de notre premier entretien le syndrome de l’imposteur dont elles pensent être victimes. Il est vrai que ce sujet a été fortement médiatisé ces temps-ci (j’ai même écrit un article à ce propos) mais comme tous les concepts passés à la moulinette de la vulgarisation, il peut être galvaudé et perdre son sens initial. Et faire briller les yeux de ceux qui surfent sur la récupération mercantile d’une énième tare féminine qu’il faudrait corriger : je ne compte plus les auteurs ou coachs en tout genre proposant leur méthode miracle pour définitivement mettre à la poubelle le syndrome de l’imposteur.

L’idée n’est pas ici d’enfermer les femmes dans un statut de victimes dont elles ne pourraient jamais en sortir. Presque toutes les personnes que j’accompagne dans le cadre de mes bilans de compétences confirment qu’elles en ressortent confiantes et avec une bien meilleure estime d’elles-mêmes qu’au début. Pour autant, il me paraît dangereux et malhonnête de leur faire croire que tout est en leur pouvoir.

Lorsque j’ interroge plus précisément ces femmes au sujet ce syndrome de l’imposteur dont elles disent être victimes, je perçois très clairement que ce manque de légitimité provient de leur entourage professionnel plutôt que d’un manque de confiance en elles qui serait typiquement féminin. Pour autant, leur premier réflexe est de s’incriminer, de chercher à travailler sur elles-mêmes plutôt que de reconnaitre que leur environnement professionnel peut être à l’origine de leur sentiment d’illégitimité.

Quand une femme me raconte qu’elle a le sentiment d’être une femme quota car elle est la seule au comité de direction parmi une armée d’hommes.

Quand une femme travaillant dans la tech me dit qu’en réunion elle doit fournir 2 fois plus d’informations techniques que ses homologues masculins pour être crédible vis-à-vis de ses collègues.

Quand une femme évoque un environnement toxique où s’enchainent blagues sexistes, dévalorisation et minimisation du travail fourni.

Tout ça n’est pas dans leur tête.

"Les femmes, les femmes de couleur, en particulier les femmes noires, ainsi que la communauté LGBTQ sont les plus exposées au syndrome de l’imposteur", a déclaré Brian Daniel Norton, psychothérapeute et coach exécutif à New York.

"Lorsque vous subissez une oppression systémique ou que l'on vous dit directement ou indirectement toute votre vie que vous ne méritez pas ou peu de succès et que vous commencez à réaliser des choses d'une manière qui va à l'encontre de ce récit bien établi dans l'esprit, le syndrome de l'imposteur apparaîtra".

Comme le résume Michelle Obama : «Les femmes se sont entendu dire pendant si longtemps qu’elles n’étaient pas à leur place dans une salle de classe, dans une salle de conférence, ou dans n’importe quel lieu où l’on prend de véritables décisions, que lorsque nous arrivons enfin à entrer dans la salle, nous avons toujours l’impression de ne pas mériter notre place à la table. Nous mettons en doute notre jugement, nos capacités, et les raisons qui nous ont conduites là où nous en sommes. Même quand nous sommes les plus expertes sur le sujet, cela peut toujours nous amener à rester discrètes et à ne pas aller au maximum de nos capacités ».

Arrêtons de croire que tout est dans la tête des femmes : c’est la société tout entière qui fait planer autour d’elles une présomption d’incompétence !

C’est prouvé, être une femme implique devoir se soumettre à des standards plus élevés :

- Les femmes scientifiques doivent produire 2,5 fois plus de recherches et de publications pour se voir attribuer les mêmes compétences que leurs homologues masculins

- Les musiciennes ont une probabilité d’avancer dans le processus de recrutement et / ou d’être embauchées plus importante quand l’audition se fait à l’aveugle : la probabilité d’être retenue au tour suivant estaccrue de 50 % et celle d’être recrutée de 30 %. Finalement, un quart de l’accroissement du taux de féminisation des orchestres américains constaté entre 1970 et 1996 serait dû à l’utilisation du paravent

- 57% des femmes et 34 % des hommes ont été témoins de remises en cause des compétences des femmes à des fonctions managériales, c’est-à-dire leurs capacités à « manager une équipe, diriger un service ou une entreprise ». 81% des femmes et 59 % des hommes interrogés dans cette enquête ont entendu des remarques désobligeantes comme « Je me demande comment elle est arrivée à ce niveau : elle a dû coucher ! » ou « Elle est pire qu’un homme ! » ou alors « Je ne vais tout de même pas faire ce qu’elle demande : c’est une femme ! ».

- Les recruteurs plus exigeants avec les femmes : pour une candidate, la compétence et le diplôme ou la connaissance des langues étrangères sont regardés de très près par les recruteurs, avant qu’ils ne s’intéressent à leur motivation. En revanche, pour embaucher un homme, c’est la motivation qui arrive en tête et les recruteurs se focalisent sur le courage, la volonté, l’engagement et l’envie que manifestent ces hommes

- Des études basées sur le monde de l’entreprise montrent qu’elles sont souvent appelées aux responsabilités dans des contextes de crise.

« On oppose à ces femmes qu'elles doivent s'engager un peu plus, s'imposer davantage, expliquait Jenn M. Jackson au site Watercooler. Mais on refuse de voir que, même une fois qu'elles s'imposent et s'engagent, ces femmes se retrouvent encore face à des murs, des individus ou des institutions qui oeuvrent activement pour leur exclusion de nombreux espaces publics. »

Les différences de comportement entre les hommes et les femmes sont une raison fréquemment invoquée pour justifier les inégalités dans le monde du travail.Une étude de l’Harvard Business Review tord le cou à cette idée reçue. Pendant quatre mois, les chercheu.r.seuse.s, ont passé au crible les données issues des échanges d’e-mails et des agendas des réunions de centaines de salariés à tous les niveaux hiérarchiques. Puis, 100 d’entre eux ont reçu des badges sociométriques leur permettant de suivre leurs comportements individuels.

A l’analyse des données, ils n’ont trouvé presque aucune différence perceptible dans les comportements des femmes et des hommes. Les femmes avaient le même nombre de contacts que les hommes, passaient autant de temps avec leurs supérieurs et, à poste égal, allouaient leur temps de la même manière. Il n’y avait pas de différence en ce qui concerne le temps passé en ligne, le travail effectif et les conversations en face-à-face. Lors des évaluations de performance, les femmes et les hommes obtenaient des résultats statistiquement identiques. Cela valait pour les femmes à tous les niveaux hiérarchiques. Pourtant, les femmes ne progressaient pas. Et les hommes, si.

Les chercheur.se.s sont donc arrivés à la conclusion suivante : « Notre analyse suggère que l’écart entre les taux de promotion des femmes et des hommes dans l’entreprise étudiée n’était pas dû à leur comportement mais à la façon dont ils étaient traités. Cela indique que les arguments destinés à faire évoluer le comportement des femmes – à les inciter à « s’imposer » davantage, par exemple – passent probablement à côté de la réalité : l’inégalité femme-homme relève de préjugés et non de différences comportementales. (…) Il est nécessaire que les entreprises considèrent l’inégalité femme-homme comme n’importe quel autre problème économique : à l’aide de données chiffrées.

En conclusion, ces femmes ne sont pas victimes du syndrome de l’imposteur, elles sont juste en minorité, dans un environnement qui leur fait sentir qu’elles ne sont pas à leur place.

Pour paraphraser cette citation que j’aime beaucoup : “Before you diagnose yourself with depression or low self-esteem, first make sure you are not, in fact, just surrounded by assholes” (Avant de vous diagnostiquer une dépression ou une faible estime de vous, assurez-vous d'abord que vous n'êtes pas en fait, juste entouré par des abrutis), je dirai donc en conclusion : avant de vous diagnostiquer un syndrome de l’imposteur, assurez-vous d’abord que vous ne travaillez pas avec des abrutis !