> février 2014

vendredi 28 février 2014

Quand le racisme ne tient qu'à un cheveu




Je lis toujours très attentivement les témoignages de @The_Economiss sur Twitter, notamment en ce qui concerne le racisme qu’elle a pu subir et qu’elle subit encore quotidiennement en tant que femme noire.

Je me retiens très souvent de lui écrire « Non mais c’est pas possible » tellement certains récits me paraissent révoltants mais je me contente d’écouter sans intervenir.

Une problématique revient de manière récurrente dans ses tweets : celle de ses cheveux.

Très régulièrement, elle raconte que les gens se permettent de toucher ses cheveux sans son autorisation ou s’autorisent moqueries et remarques. La situation semblant s’être aggravée depuis qu’elle porte une coupe afro, elle a annoncé aujourd’hui sa décision de les défriser de nouveau : « J'en ai marre qu'on se foute de ma gueule, qu'on me tripote les cheveux, qu'on me fasse des remarques, qu'on me dise que je me coiffe pas » écrit-elle.

Un autre jour, j’aurais lu ce tweet puis serais sans doute passée à autre chose.

Sauf qu’aujourd’hui, j’ai vécu un épisode qui m’a fait prendre pleinement conscience de cette situation intolérable et révoltante.

Il y a quelques heures, j’ai accompagné mes enfants et le copain de mon fils voir « Le bossu de Notre Dame » au théâtre Antoine. Avant le début du spectacle, les comédiens, grimés et costumés, passent dans la salle et taquinent  les spectateurs. Ils font peur aux enfants, se moquent d’un père chauve, font semblant de dérober le portable d’une personne du public. Puis l’un d’entre eux, Thomas Solivérès, s’arrête devant un jeune homme à la coupe afro. Ils lui touche immédiatement les cheveux puis s’écrie, une main dans sa chevelure « Mais c’est quoi ça ? C’est du foin ! C’est quoi ce truc ? Faut couper ça, apportez-moi des ciseaux ! ». Puis « Vous allez gêner les gens de derrière avec des cheveux pareils ». Le jeune homme est tellement gêné qu’il rit (jaune) tout en baissant la tête sur ses genoux. Rires gras dans la salle. Je suis pétrifiée, d’autant que le copain de mon fils, seulement âgé de 8 ans, porte lui aussi une coupe afro. Je n’ose pas imaginer ce qu’il doit ressentir à l’instant présent. En sortant du spectacle, que mes enfants ont beaucoup apprécié, il juste répété « C’était nul ». Je n’ai pas osé lui reparler de l’incident.

Je suis persuadée que Thomas Solivérès n’a pas eu d’arrière-pensée et n’a pas eu conscience de son geste. J’imagine qu’il me répondrait qu’il s’était aussi moqué auparavant d’un chauve, que ça fait partie de la mise en scène de taquiner les spectateurs quels qu’ils soient.

Sauf que la chevelure est un sujet complexe et intime dans la communauté noire. « C'est l'une des caractéristiques physiques qui nous rend "différents" explique Jonathan Capehart, journaliste au Washington Post : "Du fait de l'héritage de l'esclavage et des lois Jim Crow [surnom donné à l'ensemble des lois raciales promulguées dans les Etats du Sud entre 1876 et 1964], notre chevelure et notre tête sont devenus des sujets sensibles pour nous, Afro-Américains. Une petite tape sur la tête, en particulier de la part d'un Blanc, sera au mieux considérée comme condescendante. ‘Ne laisse personne toucher ta tête', m'a dit ma mère lorsque nous avons quitté Newark pour nous installer dans une ville majoritairement blanche du New Jersey. A l'école, j'ai appris que certains pensaient que frotter la tête d'un Noir portait chance. Et il y avait toutes sortes de termes péjoratifs pour désigner les cheveux crépus - depuis ‘Brillo' [marque d'éponges métalliques] jusqu'à des expressions inappropriées sur un forum familial comme celui-ci. Aussi, toucher les cheveux de quelqu'un est un geste intime qu'on ne peut faire qu'avec des membres de sa famille."

Malgré tout, le premier geste de Jacob, un petit garçon noir invité à la Maison Blanche, a été de toucher la tête de Barack Obama.

- "Je veux savoir si mes cheveux sont comme les vôtres". Obama a répondu :
- "Et si tu les touchais, pour te rendre compte ?". Le président a baissé la tête pour la mettre au niveau du gamin, mais Jacob a hésité.

- "Touche-les, mec !" a dit l’homme le plus puissant du monde. Jacob a touché et le photographe officiel du président a pris la photo.
- "Qu’est-ce que tu en penses ?" a demandé le président au gamin.
- "Oui, ils sont pareils."

Trois ans plus tard, cette photo reste la plus populaire de celles qui figurent sur les murs de la Maison Blanche.

Preuve que les cheveux n’ont rien d’anodin…

Mise à jour du 01/03/14

L'acteur m'a répondu sur Twitter:


Je le remercie pour sa réponse. Cependant, le fait que la personne soit son ami ne change pas grand-chose. Même si l'intention n'était pas raciste, le geste, lui, l'est.

Pour avoir un aperçu du phénomène, je vous conseille de taper "toucher cheveux noirs" sur Google, le nombre de réponses est assez éloquent.

Je vous conseille également la lecture de ce billet : "Pourquoi il ne faut pas toucher les cheveux afro d'une femme noire".

jeudi 27 février 2014

Peut-on aimer Martine et être féministe ?


Quand on se déclare féministe, il faut s’attendre à être très régulièrement remise en question au sujet de ses choix ou ses goûts. « Quoi, t’es féministe et t’aimes Houellebecq ? » « Quoi, t’es féministe et t’as adoré le premier album de Doc Gynéco ? » « Quoi, t’es féministe et t’acceptes d’acheter des Barbie ? » « Quoi t’es féministe et ta fille a des livres de Martine dans sa bibliothèque ? ».

Oui, je plaide coupable, jetez-moi des pierres, déchirez mon beau certificat de féminisme, j’assume tout. Même les livres de Martine.

Il faut savoir qu’à part les appareils électroménagers type aspirateur ou fer à repasser miniatures, je n’interdis rien à mes enfants. Cela s’applique également aux lectures.

Je pars du principe que la diabolisation d’un objet ne fait qu’attiser la convoitise. Et que tant que le dialogue et les contre-exemples sont là, rien n’est perdu.

La maîtresse de mon fils avait ainsi choisi l’année dernière une méthode de lecture datant des années 50 : papa y fumait la pipe et allait travailler à l’usine tandis que maman reprisait ou faisait les courses. 

Ce côté rétro avait fait rire mon fils : cela a été l’occasion de lui rappeler à quel point certaines choses avaient changé depuis. Que les femmes n’avaient pas toujours eu le droit de travailler, de voter ou d’avoir un compte en banque.

Autre exemple : un de nos amis avait été choqué de voir que mes enfants possédaient des pistolets en jouets alors que lui les avaient interdits aux siens. Il nous a alors raconté qu’enfant, ayant subi la même interdiction, il avait volé de l’argent à ses parents pour pouvoir en acheter un à son tour. Preuve que la méthode a ses limites.


Pour en revenir à Martine, c’est même moi qui ai acheté le premier album à ma fille. Il s’agissait de "Martine petit rat de l’Opéra", un livre qui m’avait marquée enfant et qui a largement contribué à mon envie de suivre des cours de danse classique. J’ai depuis très vite réalisé que le monde merveilleux de Martine n’avait pas grand-chose à voir avec la réalité. Notamment en tombant sur un professeur de danse qui m’a traumatisée à tout jamais à coup de règles sur les pieds.

Question irréalisme, que dire de cette fantastique fête organisée à l’occasion de l’anniversaire de Martine ?






Les lampions, les chapeaux en papier, la mini fête foraine : je me souviens de mes yeux qui brillaient d’envie à la lecture de ces pages tout en sachant que tout ceci n’existait pas vraiment. A mon époque, les anniversaires se résumaient à une part de gâteau Savane et un verre de Pcshitt (oui, je suis née dans les années 70), ma mère travaillait et nous réchauffait des plats cuisinés plutôt que des mets mijotés pendant des heures. C’est pour toutes ces raisons que le monde de Martine me fascinait et me rassurait en même temps.

Et c’est cette magie que j’ai eu envie de transmettre à ma fille. Bien sûr, il y a bien des choses qui m’agacent aujourd’hui, comme cette obsession de l’illustrateur pour les petites culottes. Ou cette manie de vouloir astreindre Martine aux courses ou au ménage. Mais j’aime aussi constater que le petit frère de Martine est systématiquement à ces côtés pour toutes ces tâches, ce qui n’est pas toujours le cas dans nos livres d’aujourd’hui. Et que dire de ces illustrations magnifiques, de ces détails de l’enfance si finement capturés ?





De plus, Martine a évolué depuis les années 40 : elle voyage en montgolfière et est même devenue une geek !



Voilà pourquoi je ne brûlerai pas les albums de Martine en dépit de mes convictions féministes! Mais cela ne m’empêche pas de proposer à mes enfants d’autres alternatives, que j’ai récapitulées ici et ici.

Cette fois-ci, dans le match entre mon coeur et mon cerveau, c'est le coeur le grand gagnant!

PS : Si vous êtes fans de Martine, je vous déconseille l’exposition qui se tient actuellement au musée en herbe. Bâclée, expédiée en 20 minutes, elle ne vaut pas le coup.

mercredi 26 février 2014

Doux-amer



Tic tac tic tac, le compte à rebours avant de commencer mon nouveau travail a commencé.

Chaque jour qui passe signe la fin d’une chose que je ne ferai plus la semaine prochaine.

Chaque seconde écoulée a le goût doux-amer de la disparition.

Dernier marché du mercredi matin, sans la foule et la cavalcade chronométrée. Le temps de soupeser les fruits lourds, les légumes parfumés, de m’emplir les yeux et les narines en rêvassant.

Dernières matinées où l’on prend le luxe de traîner, de grappiller quelques minutes, enroulé dans la couette tiède.

Dernières cavalcades des petits pieds nus sur le parquet en guise de réveil alors que le jour est déjà levé.

Dernières sorties au square. Le froid, les enfants qui hurlent, l’ennui, tout ce que je jusque là je détestais a désormais un goût de trop peu, d’instant volé.

Dernier bain donné aux enfants, derniers devoirs surveillés, dernier petit pain au lait à la sortie de l’école. Etrange nostalgie des contraintes contre lesquelles je pestais habituellement.

Derniers billets de blog écrits en prenant mon temps, la tête fraîche et les idées claires, à mon rythme.

Derniers déjeuners à l’autre bout de Paris, sans me soucier de ma montre.

Dernières balades le nez au vent, sans but. Tiens, et si je coupais par le jardin ?

Moi qui habituellement ne sais pas vivre le moment présent, je me surprends à savourer chaque instant. Intensément.

Je serre les petites mains chaudes de mes enfants un peu plus fort. J’observe leurs mimiques, leurs expressions, leurs tics avec davantage d’acuité. Je les embrasse en croquant leurs joues, j’enfouis ma tête dans leurs cheveux en plissant les yeux. Fort.

« Aïe maman tu me fais mal ».

Rouvrir les yeux. Et sourire, faute de mieux.




mardi 25 février 2014

"Girls can" : l'empowerment, nouvelle tendance marketing?





L’empowerment deviendrait-il une tendance dans les publicités à destination des femmes ?

Après le spot de Pantène qui dénonçait les stéréotypes de genre, c’est désormais au tour de P&G de surfer sur la vague du « girl power ».

« Girls can » (« les filles peuvent ») : c’est le message scandé tout le long de cette publicité pour la marque « CoverGirl ».


Ce spot très rythmé met ainsi en scène des personnalités féminines à qui l’on a un jour affirmé qu’il n’était pas possible pour une fille de rapper, d’être drôle, de jouer au hockey ou d’être chef d’entreprise.



Se succèdent à l’image comme autant de pieds de nez à cette affirmation sexiste Ellen DeGeneres, Katy Perry, P!nk, Janelle Monae, Queen Latifah, teen, Becky G et Sofia Vergara.



La publicité a rencontré un succès massif depuis sa diffusion (plus de 500 000 vues et 3600 likes sur Youtube) ainsi que de très nombreux messages positifs sur les réseaux sociaux.

On pourrait, à juste titre, me rétorquer que P&G n’est pas une entreprise philanthropique et que derrière cette publicité aux accents féministes se cache une manière déguisée de nous vendre mascaras et fonds de teint.

Que ce même groupe d’hygiène et de cosmétiques nous avait déjà gratifié dans le passé de spots larmoyants sur les mères sacrificielles pas vraiment féministes.

Que les personnalités mises en scène dans cette publicité sont toutes « esthétiquement correctes », maquillées, coiffées.

Malgré tout cela, je trouve plutôt enthousiasmant de voir ce genre de message scandé à une heure de grande écoute : « les filles peuvent ».

Et si le spot permet, ne serait-ce qu’à une petite fille, de reprendre confiance et se dire que c’est possible alors c’est déjà pas si mal.