> #ChereCarlaBruni : je suis féministe mais...

jeudi 29 novembre 2012

#ChereCarlaBruni : je suis féministe mais...



« Je ne suis pas féministe mais… » : je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu cette phrase, comme si vouloir l’égalité entre les sexes était un gros mot ou un crime de lèse-majesté.

L’ex première dame Carla Bruni est allée encore plus loin en affirmant dans une interview à Vogue Paris : « Je ne suis pas une féministe active. Au contraire, je suis bourgeoise. J'aime la vie de famille, j'aime faire la même chose chaque jour ». Et d'ajouter : « Ma génération n'a pas besoin du féminisme ».

Après les clichés sur la féministe poilue, mal baisée et hystérique, voici une nouveauté : on ne peut être féministe et être bourgeoise, on ne peut être féministe et avoir une vie de famille.

Récemment, le site « La Parisienne » posait cette question fondamentale : Beauvoir était-elle une femme soumise ? Cette interrogation pour le moins iconoclaste surgit alors que sort le livre d’Irène Frain décrivant la passion unissant la philosophe féministe à un écrivain américain. On y apprend, ô sacrilège, qu’elle promettait à son amant « Je serai sage, je ferai la vaisselle, je balaierai… » . Façon indirecte de jeter le discrédit  sur ses idées en mettant le projecteur sur sa vie personnelle. Et de rabaisser une militante, une intellectuelle engagée en la ravalant au rang de vulgaire « people » (cet article le décrypte très bien).

Si je résume donc mes lectures des derniers jours, on n’a pas le droit d’être féministe si on est mariée.  On n’a pas le droit d’être féministe si on est bourgeoise. On n’a pas le droit d’être féministe si on balaie, fait la vaisselle (ou si on le promet à son amant, dans un jeu de soumission consentie).
En bref, des brevets de féministes en veux-tu en voilà délivrés par des personnes qui n’ont rien à voir avec un quelconque militantisme en la matière.

En tant que féministe auto-proclamée, j’ai très souvent été confrontée à ce genre de réactions qui tentent de me placer devant d’éventuelles contradictions.

Très régulièrement, j’explique donc « Je suis féministe mais… » et assume pleinement ce qui peut apparaître comme des incohérences :

-       Je dépends financièrement de mon mari : en quittant mon activité salariée pour me lancer dans l’auto-entreprenariat j’ai pris un risque financier. Mes rentrées d’argent très irrégulières pour l’instant sont compensées par le salaire fixe de mon conjoint. Je n’aurai pas pu effectuer ce changement de vie si j’avais été mère célibataire. Evidemment, cette situation ne durera pas éternellement. Je me laisse le temps de mes droits Assedics (soit un an). Si d’ici là je n’arrive pas à dégager un salaire qui me permette d’en vivre, je retournerai vers le salariat.

-       Je suis mariée, j’ai 2 enfants : en dépit des clichés en vigueur, les féministes ne sont pas toutes des célibataires incasables et aigries et la situation maritale n’a rien à voir avec l’engagement. Le fait d’avoir des enfants m’a d’autant plus ouvert les yeux sur le conditionnement inconscient qui se met en place à leur égard, souvent à mon corps défendant. Et a mis en évidence le gouffre qui existe entre la théorie et la pratique.

-       Je m’épile : pourtant bien consciente de l’injonction sociale liée à ce geste, je m’y conforme.

-       Je ne suis pas arrivée à l’égalité dans la répartition des tâches ménagères au sein de mon foyer : le repas c’est moi, les courses aussi, les devoirs, les lessives et le bain également. Mon mari prend le relais quand il rentre à 20h et le week-end également mais le ratio reste très déséquilibré. Et même s’il est tout sauf un affreux macho, je ne vois pas de solution réaliste pour y remédier.

-       J’aime cuisiner, j’aime les chaussures, je lis des blogs mode : l’année dernière, une élue se revendiquant comme féministe m’avait interpellée sur Twitter. Pour elle, je trahissais la cause car je postais de temps en temps des photos de chaussures ou de mes recettes de cuisine. Etrange pour quelqu’un qui se dit du côté des femmes…

-       J’ai travaillé 11 ans dans la cosmétique et aujourd’hui encore la plupart de mes clients sont dans ce secteur : je trouve le monde dans la cosmétique passionnant autant pour ses produits que pour ce qu’ils disent sur les femmes et leur conditionnement. Cette expérience me permet d’avoir aujourd’hui un regard décillé sur les injonctions de beauté et les normes implicites qui en découlent. Et enrichissent au quotidien mon travail d’analyse. Quand on reprochait à F. Beigbeder de cracher dans la soupe à la sortie de 99 francs, celui-ci répondait « on ne peut détourner un avion qu’en montant dedans ». C’est aussi ce que je ressens : mon expérience dans la cosmétique ne délégitime pas mon engagement féministe, bien au contraire. Il me permet de le nourrir car connaissant les coulisses de cette industrie, je suis plus à même de mettre en évidence les mécanismes qui la sous-tendent.

-       Je lis régulièrement la presse féminine : j’enrage souvent, j’éructe régulièrement mais je trouve l’exercice nécessaire pour ne pas perdre pied avec la réalité de beaucoup de femmes. Je m’entraîne à lire au-delà des lignes, à décoder les messages sous-jacents avec mes lunettes féministes. Sans oublier que ce type de presse constitue une matière de premier choix pour mes articles et billets !


Malgré tout cela, je me revendique féministe. Pour moi être féministe, c'est vouloir le libre choix des femmes dans tout ce qu'elles entreprennent : qu'elles décident d'être femme au foyer ou de travailler, d'allaiter ou de donner le biberon. Sans aucun jugement de valeur.

Plus que jamais, nous avons besoin de ce mouvement d’égalité entre les sexes, en dépit de ce que peut penser Carla Bruni. Tant que 80% des tâches ménagères seront effectuées par les femmes nous aurons besoin des féministes. Tant que les femmes gagneront 27% de moins que les hommes nous aurons besoin des féministes. Tant qu’il y aura des femmes pour sortir de tels clichés éculés, nous aurons besoin des féministes.

Mais chère Carla, les féministes n’auront pas besoin de toi.

16 commentaires:

  1. A une génération près, vous me ressemblez point par point. Sauf que chez moi c'est le mari qui cuisine, il aime tellement ça! Et il est trop compétent pour disposer de manière plus logique les tasses et les assiettes dans le lave-vaisselle... Je suis féministe.

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  2. Je crois que c'est le premier article sur les féministes que j'avale facilement :)
    merci!

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  3. Le sujet vous tient à cœur et je vous comprends. La nouvelle gaffe de l'ex-première vous donne l'occasion de nous rappeler combien il reste à faire en la matière.
    Personnellement, je me demande si les déclarations - fussent-elles aussi déplacées - de cette tartuffe méritent toujours autant d'attention.
    @BicyleRepairMan

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  4. Cet article me rappelle la réaction que j'avais eu après voir lu "Beauté fatale" de Mona Chollet. J'ai beaucoup aimé ce livre mais ne le refermant, je me suis demandé si j'étais une "bonne" féministe. J'aime la mode, je collectionne les chaussures, j'adore regarder la Fashion Police sur E! et autres émissions plus "sérieuses" sur le sujet. J'ai poussé une personne de mon entourage à mieux s'habiller et s'épiler parce que je le trouve jolie et que je pense que c'est pour son bien de se mettre en valeur. Mais tout ça, est-ce compatible avec mon féminisme ?
    @Beth_Grrrr

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  5. Le féminisme pour moi, c'est déjà se faire respecter et être sur un pied égalité en couple, et puis se respecter en tant que femme.

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  6. Il faut être plus tolérante sur l'expression (qui varie selon les compétences). Il me semble que Carla Bruni voulait dire 1. qu'elle n'était pas une féministe "militante". 2. que les acquis réels du féminisme n'impliquent plus la même mobilisation.

    D'ailleurs, franchement, tous les exemple donnés montrent bien que c'est le cas. Pour le travail ménager, on parle aujourd'hui, par ex. de mettre le linge dans la machine à laver, pas de laver à la main, ce qui prenait du temps et était un vrai travail à temps complet (au passage, la libération des femmes, c'est plutôt Moulinex).

    Et il ne faut pas confondre trop facilement féminisme politique et question de la féminité/masculinité, pour lesquelles l'aliénation est sans doute équivalente et réciproque.

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    1. Donc si je comprends bien Moulinex a libéré la femme, donc plus besoin du féminisme.
      Vous êtes vraiment très drôle.

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  7. hdegenrefeminin@gmail.com2 décembre 2012 à 10:31

    Merci pour ce billet très clair et très positif (j'en profite pour dire que ton blog est top). Je voudrais ajouter que le féminisme permet aussi de l'obscurantisme. Par exemple, le jour où l'égalité sera réellement partout alors les religions devront revoir leurs écritures... Je voulais dire aussi que je suis un homme mais j'adore le rose, la mode et faire les tâches ménagères. J'aurai aimé avoir une vie de 'bourgeoise' comme Carla...

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  8. Merci pour ce commentaire! En effet, les religions, quelles qu'elles soient, ont encore du chemin à faire en ce qui concerne leur vision de la femme...

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  9. Réponse à Jacques Bolo - soit vous êtes un troll, soit vous n'avez vraiment pas compris ce que "féminisme" veut dire : si vous ne comprenez pas l'image là haut, c'est "féminisme est la notion radicale que les femmes sont des êtres humains" -- en clair, être féministe c'est de revendiquer l'égalité des chances homme-femme (parité, salaire, accès à l'emploi), l'égalité au niveau social homme-femme (qu'il n'y est plus le double standard "homme qui couche=exemple à suivre, femme qui couche=sal*pe), les femmes cantonnées au rôle de la princesse-passive et/ou la ménagère....Tant que les femmes seront considérées "le sexe faible", il y aura besoin de féminisme...Ce n'est pas parce que l'électroménager est devenu "plus simple" que nous devons être celles qui devons tout faire. Justement, si l'électroménager simplifie la tâche à l'être humain, ça veut dire que tout le monde peut y participer...

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  10. Je comprends Jacques Bolo comme disant que Moulinex aurait libéré du temps pour les femmes pour s'atteler à des activités rémunérées ou revendicatrices (même s'il ne relève absolument pas que ces tâches peuvent être exécutée par des hommes). Peut-être suis-je trop naïve? J'avais aussi vu le même correctum de Bruni sur Rue 89, mais passons.

    J'ai banni le "mais" de "je suis féministe, mais" simplement en inversant la séquence: "j'aime le rose, et je suis féministe". Il m'a fallu des annéess à ne m'habiller que de couleurs sombres et/ou insaturées avant de faire un retour fracassant à la couleur. J'aime la vie, les bulles et la joie, et je suis féministe. le "mais", comme tu le laisses entendre, c'est s'excuser de l'être

    aussi, je mets un point d'honneur à distinguer entre féminisme et mysandrie, toujours sans "mais". Pour moi, le féminisme renvoie en premier lieu à une question de droits et à leur application effective. je n'y vois qu'un lien très éloigné avec la collection Skyfall d'OPI ou les Flick Flack noires d'Irregular Choice

    D'ailleurs, une des spécialistes des questions de genre que l'on voit le plus souvent à la télévision suisse-romande (désormais RTS) est souvent vêtue de manière très sexy et très maquillée. Elle est belle, elle le sait, et elle se fait plaisir. On n'est pas obligée de ressembler à Madame Patate pour être militante

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    1. Le "je suis féministe mais" n'est que la reprise d'une phrase trop souvent entendue : "je ne suis pas féministe mais". J'aurais pu dire "je suis féministe et", c'était juste un clin d'oeil à cette tournure, je ne m'excuse de rien et revendique fièrement ce qui peut paraître comme des incohérences.

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  11. Pour les tâches ménagères et la dépendance financière, est-ce une question d'hommes-femmes ou de situation à un moment T? si c'était toi qui était salariée et qui rentrait à 20h et ton mari qui décidait de se lancer et d'avoir des horaires plus souples? Après il ne faut pas laisser la situation s'auto-générer. (comme je ne dois pas gérer les courses et les enfants donc je reste encore un peu au boulot donc j'ai une promotion donc c'est plutôt ma femme qui va s'occuper un peu plus des enfants donc je peux rester encore plus tard ect ect)

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  12. Ha bon on n'a pas besoin de féminisme, c'est que Mme BRUNI n'a surement jamais eu besoin d'avorter alors, parce que même en Ile de France c'est compliqué alors je n'imagine même pas en province.
    Parce que les incessantes remise en cause du droit à disposer de son propre corps ne nécessite pas qu'on continue à se battre.
    Parce que les inéglités de salaires ne sont plus d'acualité c'est bien connu.
    Je suis féministe mais aussi "masculiniste", j'estime qu'on ne peut pas vouloir légalité homme femme, vouloir que les pères s'impliquent plus dans l'éducation des enfants et en parallèle leur nier tout droit à continuer à élever leurs enfants en cas de divorce.
    Je suis féministe dans le sens ou j'aimerai que nous les femmes arretions de juger et de rabaisser notre propre sexe, laquelle d'entre nous ne s'est jamais dis "tiens celle la elle a plusieurs amant c'est une pute".
    Il y a encore du progrès à faire en France mais encore plus dans le monde, et je ne parle pas que des cible toutes trouvées que sont les pays musulmans mais aussi et c'est malheureux des USA.

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