> Dictionnaire participatif du féminisme : "S comme sportive" par Gabrielle

mardi 29 juillet 2014

Dictionnaire participatif du féminisme : "S comme sportive" par Gabrielle



Aujourd'hui j'accueille avec grand plaisir Gabrielle, auteure du blog "Entrées en lice".

Elle nous donne sa définition de "S comme sportive"

Nous voilà juste sortis de la Coupe du Monde masculine de football. J'imagine donc que vous pouvez citer trois footballeurs. Mais connaissez-vous trois footballeuses ? Non ? Sinon, vous rappelez-vous la dernière fois que vous avez vu une sportive de haut niveau en couverture d'un magazine ?
« Le sport moderne a été inventé […] par les hommes et pour les hommes. » écrit la journaliste Fabienne Broucaret*. Comme pour toute activité historiquement masculine les femmes peinent à s'y faire une place... quand elle ne s'en détournent pas complètement.


Dans les magazines féminins, le sport est relégué à la rubrique « Minceur », comme une ennuyeuse contrainte. On nous vend du sport comme on nous vendrait des crèmes anti-rides : il faut toujours se lancer dans la dernière activité à la mode (et dispendieuse). Pourquoi faire du jogging gratuitement quand on peut faire de l'aqua-zumba suédoise à 50 euros la séance ? L'objectif unique est de se forger un corps « parfait » conformes aux normes. Quant au plaisir de pratiquer... Les sportives régulières sont caricaturées comme des control freaks masochistes. Et trop musclées. (J'y reviendrai).
Pas étonnant que d'une part, les femmes boudent le sport, et que d'autre part celles qui persistent privilégient la danse ou la gymnastique, sports réputés « féminins » et « gracieux ». Mais les autres, celles qui veulent bouger mais que les pirouettes ennuient, elles peuvent faire quoi ?  Ben... Si en théorie aucun sport n'est interdit aux femmes, il est difficile de pratiquer des disciplines traditionnellement masculines.


Le karaté, l'aviron, le lancer de poids... En tout premier lieu, comment se décider pour un sport que l'on ne connaît pas ? On sait que l'absence de rôle-modèles féminins bride complètement les choix professionnels des jeunes filles ; c'est pareil pour le sport.
Nous voyons peu de sportives à la TV : les médias sportifs sont parmi les plus androcentrés. Comme partout (particulièrement dans les milieux de pouvoir), le masculin est normal,  neutre. Lorsque l'on dit « Équipe de France », c'est toujours pour parler de l'équipe de France MASCULINE. Le féminin reste le cas particulier... la quantité négligeable.
Les patrons de presse ne manquent pas de se justifier. Le niveau est trop faible, arguent-ils. En l'admettant, qu'est-ce qui fait un bon niveau ? Il est clair que plus la fédération compte de pratiquantes, meilleures sont les chances de trouver de potentielles championnes. Donc si on veut que le niveau augmente il faut surtout augmenter le nombre de jeunes filles pratiquantes : retour à la case départ.
Cependant cet argument de niveau confine parfois à la mauvaise foi,  et à tout à voir avec la réticence à voir des femmes pratiquer des « sports d'hommes ».


La sous-médiatisation des sportives n'est en réalité qu'une conséquence des stéréotypes de genre à l’œuvre dans notre société patriarcale.
Je parlais plus haut du physique des sportives. On est choqué de voir des femmes au corps musclé et transpirant, en plein effort. Il suffit de lire Twitter pendant un match féminin de foot ou un meeting d'athlétisme : « Elle est trop moche on dirait un mec » « Lol elle est plus musclée que Teddy Riner». Une énième pression qui s'exerce sur le corps des femmes. Vous aurez en outre saisi l'injonction contradictoire qui demande aux sportives un plus haut niveau tout en restant sexy. Comment être puissante et rapide sans muscles ?
Les détracteurs du sport féminin ne s'arrêtent pas au physique. Selon eux, le sport et la compétition ne sont pas « naturels » pour les femmes. C'est sûr qu'en empêchant les fillettes de s'y mettre elles ne risquent pas de développer la ténacité, l'esprit d'équipe, la prise de risque, l'ambition...  qui leur manqueraient « naturellement ». Celles qui montrent ces qualités s'exposent aux critiques et aux doutes, en particulier sur leur sexualité, voire sur leur sexe. On se rappelle des propos aigres de Martina Hingis battue par Amélie Mauresmo, qualifiant cette dernière de « demi-homme ».
Ces préjugés, relayés par la société entière, sont de vrais freins à la pratique sportive féminine. D'autres obstacles en découlent: rareté de l'offre sportive, manque d'infrastructures dédiées, et dans le haut niveau, manque de moyens... C'est un vrai cercle vicieux, qui contribue à la confidentialité du sport féminin.


Néanmoins, le combat mené par les sportives depuis près d'un siècle porte progressivement ses fruits : si en 1948, le football était interdit aux femmes , en 2011 on a pu voir la coupe du Monde féminine à la télévision. Cette année, l'ensemble des fédérations sportives françaises doivent présenter au gouvernement un plan de féminisation. Mais à quand un Tour de France féminin? Qui est au courant que la coupe du Monde féminine de rugby a lieu cet été en France ?
Je regrette par ailleurs qu'on ne parle pas de masculiniser les fédérations d'équitation ou de gymnastique. Il est plus difficile pour un garçon de faire du patinage artistique que pour une fille de faire de l'haltérophilie. Les garçons aussi souffrent des préjugés !


Il me semble clair qu'on ne peut espérer promouvoir le sport féminin sans s'attaquer aux fondements du patriarcat, même si malheureusement peu l'admettent. Car ceux et celles qui estiment qu'une femme est plus à sa place sur un tapis de yoga que sur un ring de boxe sont les mêmes qui pensent qu'une femme n'a pas les épaules pour diriger une entreprise, et qu'un père sera incapable de s'occuper de son bébé.
En outre, je suis convaincue que la pratique du sport en mixité est un levier efficace pour lutter contre les stéréotypes sexistes et lever les inhibitions de chacune et chacun. Pour moi, sport et féminisme sont étroitement liés.



* dans son livre « Le sport féminin, dernier bastion du sexisme » paru en 2012 aux Éditions Michalon.

4 commentaires:

  1. euh...
    j'suis allé aussi lire son site...
    ben...
    y'a la part belle aux "sports"... que j'aime pas du tout, pas simplement pour leur sexisme, mais radicalement pour le sens de leur gestuelle, de leur finalité, de l'ambiance de pratique, du phénomène de groupe, du phénomène de la mise en spectacle et de l'identité de groupe associée à des populations (nationalisme ou régionalisme par exemple...)...

    derrière tout ça, y'a le désir d'orgueil, d'intégration à des moules sexués et sociaux.

    pas de sentir son corps dans un bien-être efficace, un bonheur sensuel et actif.

    ça fait des lustres que je cours seul, nage seul, grimpe seul, marche en haute montagne seul... et que je sens ce que je fais, dans mon corps, qui est tout pour moi qui suis ce corps.

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  2. Bonjour,

    pour moi ce n'est pas incompatible d'aimer nager/courir/marcher seul pour se reconnecter avec soi et pratiquer ces sports que vous n'aimez pas, je suppose la compétition et les sport co en général et le foot en particulier...
    Je pratique les deux au gré de mon humeur et de mes envies, et je pense mettre ces deux facettes en valeur dans mon blog.

    Ensuite, je suis d'accord avec les travers que vous reprochez; je les dénonce également et essaye de les déconstruire au fil de mes billets. Mais ils ne sont pas intrinsèques au sport, ils sont bel et bien ancrés dans la société.
    Jouer à la balle n'a rien de sexiste ou d'excluant en soi, ce sont les significations et la symbolique qu'on donne au jeu qui le sont.

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    1. Bonjour Gabrielle
      oui, je comprends bien votre position.
      effectivement, ce sont la symbolique et la signification sociale de ces activités, parce qu'elles en passent aussi pas des rapports avec d'autres personnes, ayant intégré ces symboles et signification, qui me sont lourdes.
      et c'est la cause de ma pratique solitaire.
      j'ai connu ça, y compris dans les activités de montagnes et d'escalade, mais aussi en danse contemporaine par exemple.
      le milieu montagnard ou alpiniste est terriblement machiste : ce sont des durs, ils "affrontent" la montagne...
      en fait
      l'humain est fasciné par le pouvoir, la puissance, la volonté, la liberté, c'est à dire la non reconnaissance des contraintes et des dépendances du monde...
      donc bon...
      mais dans les activités ludiques totalement sociales comme les sports collectifs, pour moi, il n'y a que des humains... y'a pas autre chose comme environnement...
      euh... donc bon...
      y'a toujours un truc à "gagner"...
      donc non... moi pas...
      je fais des gestes pour sentir quelque chose, comme par curiosité, ce quelque chose, peut être moi, ou l'autre, ou un monde, et le parcourir.
      voilà, c'est pas très clair mais bon...

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  3. Bonjour Gabrielle et merci pour cet article.

    " Comment être puissante et rapide sans muscles ?" résume très bien le problème essentiel et intrinsèque de la pratique sportive. Je suis une femme athlétique, et j'ai pratiqué le judo à haut niveau étant enfant. Puis à mon déménagement en France en pleine adolescence, la pression sur le corps a été immédiate, constante.
    Un contrôle, que non seulement le quidam dans la rue s'autorisait ("c'est pas beau les femmes musclées"), mais aussi mes proches qui le faisait "pour mon bien" "pour que je trouve un mec" (sexisme/hétérocentrisme, tout ce que tu voudras), pour que surtout je ne me distingue pas de façon négative dans la société.

    Ce n'est qu'en déménageant dans une société moins sexiste où les gens trouvent normaux les femmes musclées, fortes et puissantes, que j'ai pu me remettre à une pratique sportive intensive.

    Voilà ce que j'avais écrit quand j'ai repris un entrainement très régulier: https://thinkoutsidetheboxer.wordpress.com/2014/04/15/sois-toi-meme-mais-pas-trop/. C'est gnangnan, et oui, mon corps s'est modifié, et je ne m'en porte pas plus mal.

    Le sport donne aussi des ressources mentales insoupçonnées (dont tu parles, ténacité, esprit d'équipe, ambition) qui sont leur propre récompense.

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