> avril 2012

lundi 30 avril 2012

Si je t'oublie Jérusalem...



Me voici de retour après une semaine de vacances en Israel. A chaque voyage, j’ai le sentiment de retrouver une famille symbolique : Jérusalem, ma sœur ainée, religieuse, spirituelle et habitée et Tel Aviv, ma sœur cadette fantasque, survoltée et bohème.

Quand l’avion se pose, c’est Tel Aviv que j’ai immédiatement envie de retrouver. J’aime son agitation sans répit, ses immeubles Bauhaus, ses maisons déglinguées en perpétuels travaux ou à l’abandon, on ne sait vraiment. J’aime sa façon de marier orient et occident, tradition et modernité, j’aime les couleurs et les parfums de ses marchés, l’arrogance de ses grands buildings, ses chats sauvages sortant d’endroits improbables. J’aime même sa crasse parce qu’elle n’a pas la même couleur ou la même odeur qu’à Paris. J’aime m’emplir de son énergie, de ses bars qui ne ferment pas, des ses corps musclés qui courent sur la plage, font du vélo ou de la gym et vivent comme si demain n’existait pas. Tel Aviv est une belle plante, tatouée et juvénile, bronzée et pieds nus, qui porte sa jeunesse avec arrogance. J’aime m’y perdre mais très vite Jérusalem me manque.

En une heure de route à peine, je passe alors de la blancheur des immeubles au noir des costumes, de la légèreté à la spiritualité, de la jeunesse à l’histoire. La tension est palpable tant les 3 religions qui y coexistent sont proches physiquement. L’histoire est là, écrasante : on se dit à chaque pierre que l’on foule, à chaque mur que l’on effleure que l’on a peut-être devant nous des vestiges de plusieurs milliers d’années. Pourtant, on y ressent paradoxalement une grande sérénité. Dans cette ville hors du temps et des affres de la mondialisation, j’aime me dire que quelques irréductibles perpétuent l’histoire de mon peuple, veillent sur son âme et ses commandements comme on surveillerait une veilleuse au plus fort de la tempête. Comme un phare, je m’y ressource et y puise des certitudes pour tous ces jours où la religion n’est qu’accessoire dans ma vie. Jérusalem est une boussole et une épaule, une étreinte parfois étouffante mais nécessaire.

Cette année, je n’ai pas pu m’y rendre, me contentant de Tel Aviv.  Je garde un étrange sentiment d’inachevé et couve une culpabilité larvée…Mais je ne t’oublie pas Jérusalem…

samedi 21 avril 2012

Mon top 8 des plus belles chansons


J’ai toujours aimé faire des listes : des courses, des pour et des contre, de choses à faire, des gens à appeler, des expos à voir. En couchant ces quelques mots sur le papier j’ai l’impression illusoire de maîtriser ma vie, à travers les pleins et les déliés, c’est le cours sinueux de mon existence que je crois contrôler.
Depuis que j’ai lu « Haute fidélité » cette manie s’est aggravée et transformée. Comme, Rob,  le héros qui classe tout, des 5 pires ruptures de sa vie aux 5 boulots de rêve, je m’adonne aux tops avec délectation. D’ailleurs, ici ou ailleurs, vous avez déjà eu droit au top 10 des pires cadeaux de Noel, au top 10 des pubs les plus sexistes, au top 10 des pires produits genrés, au top 10 des pires cadeaux de St Valentin …et ce n’est pas fini.
Pour une fois, et parce que ces derniers temps j’ai surtout parlé de sujets qui fâchent, j’ai eu envie de vous faire partager mon top 8 des plus belles chansons. Celles qui vous font frissonner, vous collent la boule dans la gorge ou une claque dans la figure. Celles qui vous questionnent, vous ressemblent ou que vous auriez rêvé d’écrire. Celles qui vous habitent et qui vous font monter le son quand vous les entendez à la radio.

1°) Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre (reprise par Vincent Delerm)


Une chanson sublime, magnifique ode à tous ceux qui n’osent pas, qui n’ont pas confiance, qui « trop écoutent leur cœur se balancer », à tous ces gens qui "passent moitié dans leurs godasses et moitié à côté". A l’heure où il faut avoir un avis sur tout et une confiance en soi en béton armée, cette hommage à ceux qui "n'osent s’approprier les choses, encore moins les gens" est réconfortant et profondément émouvant.  

2°) Guigui de Michel Jonasz






Une chanson peu connue de Michel Jonasz, issue de l’album du même nom qui me dérange, me fascine et m’émeut à la fois. Des violons déchirants, un piano sobre et une voix qui passe de la douceur à la douleur…Qui est cet homme qui semble perdre le fil de sa vie et lentement glisser vers la folie ? « C'est à cause que dans ma tête,
Ça cogne, des fois j'ai mal ». Et qui était cette Guigui pour lui ? « Guigui, Je sais plus qui tu étais, ma sœur, ma mère, ma p'tite fille, une fiancée qu'on déshabille ». Troublant et émouvant.

3°) L’ennemi dans la glace d’Alain Chamfort


A mes yeux la plus belle chanson d’Alain Chamfort, sans doute celle qui me parle le plus aussi. Une façon très poétique de parler de la difficulté d’être en paix avec soi-même :
« Dehors je croise des étrangers
des ombres qui marchent dans le noir
ce n'est pas d'eux que vient le danger
mais je reconnais chaque soir
mon pire ennemi dans ce miroir »

4°) Ma révérence de Véronique Sanson


Une chanson magnifique issue de l’album « 7ème », mon préféré de Véronique Sanson. Des paroles qui prennent à la gorge et qui parlent à demi-mot de la vieillesse, de la solitude et de la mort. Des mots que j’aimerais avoir la dignité de prononcer le jour où « je n’aurais plus le temps de trouver tout le temps du courage ».

5°) Mistral gagnant de Renaud



Je ne suis pas du tout fan de Renaud ni de son personnage de rocker à bandana. Pourtant, cette chanson fait exception, véritable petit bijou de nostalgie et de poésie, à la fois acidulé et piquant, à l’image du bonbon qui prête son nom au titre. Des paroles sublimes, magnifiées par une ligne mélodique très simple, des mots beaux et doux d’un père à sa fille :
« si moi je suis barge, ce n'est que de tes yeux, car ils ont l'avantage d'être deux »
« Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie Et l'aimer même si le temps est assassin Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants »


6°) Majorette de Bénabar




Oubliez les derniers albums de Bénabar, commerciaux et bâclés et écoutez les 3 premiers, petites pépites à l’état brut. Des tranches de vie, des petits films qui vous transportent pendant quelques minutes dans un univers à part. Ma préférée « Majorette » commence de façon légère, sous fond de musique de fanfare, puis au fil des paroles on comprend, si on tend l’oreille, que la chanson est plus profonde qu’elle n’y paraît.  Le joueur de trombone nous raconte à la première personne son histoire douce-amère.
« D'habitude on me moque
Alors j'aime bien qu'on me confonde avec
Le fils du notaire le gérant de l'épicerie
Moi j'ramasse les feuilles pour la mairie »

Progressivement, on comprend à demi-mot sa différence et son amertume teintée de jalousie :

« Moi aussi j'aurais pu avoir l'même uniforme
Pourquoi c'est toujours les mêmes qu'on réforme
Parce que dans ma tête y'a un truc qui va pas
La patrie et Nadège y veulent pas d'moi ».

Une chanson terriblement émouvante et qui tire sa puissance de son contraste entre sa musique légère et ses paroles profondes.

7°) Le Bagad de Lann-Bihoué d’Alain Souchon





Pas facile de choisir parmi toutes les chansons d’Alain Souchon…Ma préférence va à celle-ci, qui convoque en chacun de nous l’enfant qu’il était afin de juger sa vie d’aujourd’hui.
Elle raconte l’histoire des renoncements, des rêves perdus et de petites concessions :

 « Tu la voyais pas comme ça ta vie, pas d'attaché-case quand t'étais petit,
Ton corps enfermé, costume crétin, t'imaginais pas, je sais bien.
Moi aussi j'en ai rêvé des rêves. Tant pis.
Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie »

« Tu la voyais pas comme ça frérot
Doucement ta vie t'as mis K.O.
T'avais huit ans quand tu te voyais
Et ce rêve-là on l'a tous fait »

J’aime le contraste entre la tristesse du constat d’une « petite vie » et les accords flamboyants du rêve d’enfant qui remonte à la surface.

La fin sonne comme un avertissement sans concession, qui invite chacun à réinventer sa vie

« Mais qui ta rangé à plat dans ce tiroir,
Comme un espadon dans une baignoire ?

Tes moche en week-end, tes mioches qui traînent »
Loupé capitaine, bateau de semaine dune drôle de fête foraine. »


8°) Tu verras de Nougaro



Une reprise d’une chanson de Chico Buarque « Que sera », le maitre de la bossa nova. Au-delà de la musique plutôt classique, ce sont véritablement les paroles qui apportent tout leur sel à ce morceau revisité, avec de jolies trouvailles, qu’on rêverait d’avoir écrites :

« Je ferai plus le con, j’apprendrai ma leçon
Sur le bout de tes doigts »
« Je me réveillerai, tu verras, tu verras
Tout rayé de soleil, ah, le joli forçat! »
« Tu verras mon ami dans les os de mes bras
Craquer du fin bonheur de se sentir aidé »

Une montée émotionnelle qui va crescendo tout au long du morceau et qui donne envie d’y croire, quoi qu’ait fait le héros de la chanson !







vendredi 20 avril 2012

Quand Pole Emploi me donne le blues du businessman...



Ce matin, j’étais convoquée à un atelier « création d’entreprise » à l’initiative de mon conseiller Pole Emploi. N’ayant su répondre qu’évasivement à une de mes questions lors de notre dernier entretien, il avait botté en touche en me sortant de son chapeau cette formation de 2 heures. Je l’avais senti soulagé : quelques minutes avant, il m’avait avoué l’absurdité d’un système qui me convoquait alors que je n’en n’avais pas besoin alors que ceux qui insistaient pour le rencontrer trouvaient lettre morte. J’ai bien senti que cette formation qui allait m’occuper 2h lui permettait de justifier à la fois de son efficacité et  de ma volonté de ne pas être une charge financière trop longtemps aux yeux des ASSEDICS.

En arrivant ce matin à 8h50, je n’ai pas été étonnée de trouver comme d’habitude une dizaine de personnes devant la porte close, essayant de se protéger tant bien que mal de ce crachin incongru d’avril. A quelques mètres de l’agence, la porte de l’Hôtel Ibis s’ouvrait et se fermait en cadence, recrachant des nuées de touristes à sac à dos. Le décalage entre ces étrangers, frais, dispos et prêts à découvrir la capitale et ceux qui, le dos vouté, se préparaient à un tout autre voyage dans cette contrée exotique que l’on nomme la bureaucratie était sacrément iconoclaste.
J’aime observer ces touristes et essayer de me remplir de leur énergie, j’aime détailler leurs yeux rivés sur l’horizon et leurs foulées déterminées pour me donner du courage.

A 9h, nous rentrons enfin. Tous les participants aux ateliers sont regroupés au sous-sol. Je les observe du coin de l’œil : beaucoup d’hommes en costume, les yeux rivés sur leur Iphone ou le nez plongé dans leur journal. Je réalise après-coup que je dénote avec ma tenue : Jean, t-shirt « Barbès Business School » et UGG fatiguées. Pas vraiment l’uniforme d’une « créatrice d’entreprise ». Finalement, la foule d’hommes est orientée vers un autre atelier. On nous invite dans une petite salle. 

Je suis rassurée par le public qui m’entoure : 6 femmes pour 2 hommes, plutôt de mon âge et qui n’ont pas fait non plus d’effort vestimentaire particulier. La formatrice nous demande de nous présenter à tour de rôle : ceux qui commencent sont évidemment les bons élèves ! Une psychologue clinicienne qui a ouvert son cabinet, une esthéticienne qui cherche un local pour monter un « bar à dents », un homme qui se lance dans la création d’ateliers floraux. Les business plans sont ficelés, les financements trouvés… et moi, je me demande tétanisée ce que je fais là. Je n’ai pas fait de business plan et je compte naïvement sur ma matière grise, mon ordinateur et ma bonne fortune pour y arriver. La formatrice s’étonne « Pourquoi assistez-vous à cet atelier si vous avez déjà monté votre cabinet ? ». La psychologue répond qu’elle a mis 2 mois à avoir une date pour cette formation, qu’entretemps elle a avancé et qu’elle n’a eu aucune réponse de son conseiller quand elle l’a joint à plusieurs reprises pour annuler. « Il faut savoir qu’un conseiller gère ici plus de 200 dossiers, c’est donc normal qu’il n’ait pas eu le temps de vous rappeler » explique l’animatrice sans se démonter. 

Le tour de table continue : un médecin qui veut ouvrir un cabinet médical, une coiffeuse qui veut travailler à domicile, une architecte qui veut se mettre à son compte, un chef de projet en informatique…et moi. Je passe en dernier, me justifie 3 fois, explique que je n’en suis qu’au début de ma réflexion, que ça ne m’a pas empêchée de travailler et que jusque là je me suis fait payer en droits d’auteur. On ne peut pas vraiment dire que j’ai brillé par ma confiance en moi. Ni par mes talents d’orateur. Pas sûr qu’un banquier aurait misé sur moi…

La formatrice débute ensuite sa présentation : l’âge moyen d’un créateur d’entreprise est de 39 ans (je suis pile dans la moyenne pour une fois !), 29% sont des femmes, la moitié à un niveau inférieur au bac. Et surtout, une entreprise sur 2 met la clé sous la porte avant le cap des 5 ans. Elle enchaîne ensuite avec les démarches, les formalités, l’indemnisation, les projets, le business plan, les chiffres, les chiffres et encore les chiffres.

Une des participantes lève alors le doigt pour remettre en cause un des montants avancé dans la présentation : l’animatrice lui répond alors que ces slides dataient de 2011 et que les choses avaient peut-être changé depuis. Il faut voir avec son conseiller pour en savoir plus (autant dire, jeter une bouteille à la mer). Idem en ce qui concerne les couveuses d’entreprises : « tapez sur Google « couveuses Paris » et vous en saurez plus ». Bien la peine de nous faire venir pour ça. Quand l’une des participantes demande à récupérer la présentation, l’animatrice lui répond qu’elle n’a pas le droit de nous la communiquer. La confiance règne…

Au bout de 2 heures, l’esprit rempli de chiffres et d’abréviations, nous repartons avec nos espoirs, nos désillusions et nos photocopies sous le bras. « Surtout bon courage » nous lance la formatrice avant de partir. Il va nous en falloir je crois…

mercredi 18 avril 2012

Gâteau raciste en Suède : Yabon l'excision?

Alors que la Norvège juge actuellement l’auteur de la tuerie d’Oslo, un autre événement a pris temporairement le devant de la scène médiatique, créant une polémique de grande ampleur.

Une vidéo tournée à l’occasion d’une manifestation culturelle visant à sensibiliser le public à la lutte contre l’excision et les mutilations génitales a suscité une véritable levée de boucliers.

On peut y voir Lena Adelsohn Liljeroth, ministre suédoise de la Culture, hilare, en train de couper un gâteau en forme de femme noire. Les autres convives sont ensuite invités à faire de même, en commençant par le pubis. A chaque coup de couteau, l’artiste, grimé grossièrement, et dont la tête sort du gâteau pousse des cris de douleurs grand-guignolesques.

Suite à cet épisode, la ministre a reçu de nombreuses demandes de démission. L’artiste, Makode Linde,a quant à lui estimé que son œuvre « a été mal comprise ».

Je dois avouer que le visionnage de cette vidéo m’a profondément mise mal à l’aise.

Ce qui m’a frappée, c’est le décalage entre le sourire de la ministre, l’air hilare des convives et la violence de la situation qui est mise en scène. Les invités, blancs, ne semblent pas du tout avoir compris le message sous-jacent : ils mangent ou n’hésitent pas à prendre en photo l’installation sous tous les angles. On se croirait revenu au temps de la Vénus Hottentote. Si le but était de dénoncer l’excision, on peut douter de l’efficacité du happening à en juger par les regards de l’audience, vides de toute compassion ou réflexion.

La représentation de la femme noire est également extrêmement violente et stéréotypée : grosses lèvres symbolisées par un maquillage clownesque, gros ventre, gros seins. Un croisement entre Yabon Banania et Tintin au Congo. L’artiste, lui même noir, dit avoir volontairement grossi le trait et utilisé la caricature pour mettre en évidence le préjudice subi. Mais l’audience a-t-elle les clés pour comprendre un tel happening ? Le mélange des genres (le gâteau-femme, les hurlements grands-guignolesques qui poussent davantage au rire qu’à la compassion) brouille les cartes et le message. L’utilisation de la femme noire peut également donner une vision partielle de la réalité : c’est oublier que d’autres cultures, comme l’Inde ou les pays arabes ont aussi recours à l’excision comme le rappellent les associations. De plus,ce genre de caricature raciste est-elle vraiment opportune à l'heure où la Norvège panse péniblement ses plaies suite à la tuerie raciste d'Oslo?

L’artiste Maxette Olson, guadeloupéenne vivant en Suède depuis 36 ans, donne son avis sur la question dans son blog « Ceci écrit, écrivain de livres d'art, je suis bien consciente que l'intention de cet artiste était de devenir célèbre en dénonçant l'excision à sa manière. Les artistes noirs ou métissés sont rares ici en Suède. Mais l´excision se dénonce-t-elle en excisant une femme noire en gâteau glacé ? Je ne sais pas. Mais enfin ! Le Norvégien Anders Breivik a bien assassiné presqu'une centaine de personnes afin de dénoncer le multiculturalisme. Il semble que dans l'art moderne, tout est permis comme en politique. »

Pas sûr que cela suffise comme excuse à la Ministre suédoise de la Culture pour échapper au limogeage...