> L'instinct maternel n'est pas toujours une évidence...

lundi 18 juin 2012

L'instinct maternel n'est pas toujours une évidence...



J’ai été vraiment touchée par les retours qu’a suscité mon dernier billet « Sa main dans la mienne » d’autant qu’ils venaient également de gens n’ayant pas d’enfant (toujours peur de les ennuyer avec mes considérations de desperate housewife ).

Parfois, j’écris des choses comme une bouteille à la mer, sans savoir si mes mots trouveront de l’écho chez ceux qui me lisent. Rien ne me touche plus que de savoir que ces quelques lignes résonnent en eux. Tout cela n’est donc pas vain.

On m’a beaucoup parlé d’instinct maternel : c’est vrai qu’à la lecture de ce texte, on peut penser que c’est une chose innée et que la maternité n’est qu’un enchainement de moments heureux. Pourtant c’est parfois plus compliqué que ça, dans mon cas notamment. Mon idée n’est pas de noircir le tableau, mais plutôt de le nuancer, pour aider les mères qui se retrouveraient un jour dans ma situation.

A la naissance de mon ainé, j’ai vécu, sans le savoir, ce qu’on appelle une dépression post-partum. J’ai senti très tôt que quelque chose n’allait pas sans pouvoir vraiment y mettre des mots. Lorsqu’on a posé mon bébé de 4,100 kgs sur le ventre, j’ai croisé son oeil, noir et scrutateur et je n’ai pas eu le « coup de foudre du premier regard » dont parlent tous les livres de maternité. Celui à partir duquel tout se construit et qui conditionne la suite d’après la littérature pour femmes enceintes. L’allaitement a été lui aussi un désastre complet : je n’avais pas assez de lait, mon fils était constamment affamé, j’avais mal et je voulais arrêter. Personne dans le personnel médical n’a pris au sérieux ma parole « il faut faire un effort pour le bébé » « vous devez mal vous y prendre ». Les puéricultrices défilaient chacune leur tour pour m’apprendre les bons gestes sans qu’aucune ne décèle le mal-être sous mes pleurs. J’ai tenu 2 jours puis ai fini par exiger beaucoup plus fermement un biberon. Une amie qui a travaillé en maternité m’a ensuite avoué que les femmes qui allaitaient coutaient forcément moins cher que celles qui donnaient le biberon. Les puéricultrices avaient donc des recommandations fermes pour les pousser à l’allaitement.

Je pensais que les choses allaient s’arranger de retour à la maison mais la situation a empiré. Mon fils pleurait en permanence, refusait la tétine, le transat, le lit, le porte-bébé. Je passais donc mes journées avec mon bébé dans les bras, mon index dans sa bouche, pour calmer ses besoins de succion. Un véritable esclavage dont personne ne parle avant la conception. A mes copines proches qui me demandaient « alors, t’es sur ton petit nuage ?», je répondais placidement « non, c’est un enfer ». Pour les autres, j’essayais de donner le change.

Mon fils et moi-même cohabitions tant bien que mal dans ce grand appartement vide : j’ai retrouvé récemment un petit film où je changeais sa couche et me suis fait peur rétrospectivement. On aurait dit un automate, qui répétait des gestes mécaniquement, sans un regard pour son bébé.
Les jours passaient, les uns après les autres : la seule chose qui les différenciait c’était le nombre de biberons que j’écrivais scrupuleusement sur un petit cahier.

Moi, je voulais disparaître, au propre comme au figuré : j’ai ainsi perdu mes 14 gs de grossesse en un mois, ne me nourrissant que d’une tomate le midi.
Mon mari, complètement désorienté par mes paroles et mes actes (je lui répétais régulièrement que je voulais mourir), a pris le relai avec mon fils sans que l’on s’en rende vraiment compte. La journée, j’assurais ma place de mère mais le soir et le week-end c’est lui qui gérait à temps complet. Ils ont gardé de cette période un lien ineffaçable. Pendant longtemps, c’est son père que mon fils appelait la nuit en cas de cauchemars, c’est vers lui qu’il se tournait lorsqu’il se faisait mal. Pendant longtemps, je n’ai pas eu le droit de lui lire une histoire le soir ou de le coucher, c’était chasse gardée.

L’amour maternel n’a pas été une évidence chez moi mais une construction. J’ai du lutter pour gagner la confiance de mon fils : nous nous sommes observés, jaugés mais désormais notre amour est plus fort que tout. Patiemment, j’ai repris du terrain, pris du temps pour lui. Nous nous sommes trouvés des points communs et nous nous sommes trouvés tout court. Etrangement, dès que mon fils a commencé a parler, le lien s’est crée, indéfectible et fort.

Aujourd’hui, je retrouve beaucoup de moi en lui : son goût pour les livres, son côté angoissé, ses taches de naissance et ses cheveux bruns. Il en tire d’ailleurs beaucoup de fierté « j’aime bien la crème de marron : tout comme toi hein maman ? ».

Quand on nous voit aujourd’hui, si proches et fusionnels, on ne peut imaginer le chemin parcouru. L’amour qui m’inonde spontanément est toujours un petit miracle à mes yeux, le fait que mon garçon soit aujourd’hui équilibré et bien dans ses baskets aussi.

Pour ma fille, j’ai décidé d’être suivie  par un psy pendant ma grossesse pour éviter d’avoir à revivre cela. Je me souviens avec émotion de ses coups de pied pendant chaque séance, elle qui, d’habitude, ne se manifestait que rarement.

Je n’ai jamais su ce qui avait déclenché cette dépression chez moi, la thérapie n’y a pas répondu. En revanche, je n’ai heureusement pas eu à vivre cela pour ma fille.

Aujourd’hui, je suis tombée complètement par hasard sur cet article prouvant que l’amour paternel aurait autant, voire plus, d’influence que l’amour maternel.

De quoi déculpabiliser toutes celles qui, comme moi, n’ont pas trouvé le spontanément le mode d’emploi de l’instinct maternel !

15 commentaires:

  1. Très touchant, bien plus qu'une histoire de "coup de foudre" classique :)
    C'est aussi bon à savoir pour les futures ou potentielles mères, que cette possibilité existe et qu'elle n'ont pas à culpabiliser si cela leur arrive !

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    1. Oui, absolument! Mon fils va avoir 7 ans et à l'époque on n'en parlait pas du tout! Depuis, il y a eu Florence Foresti et son spectacle "Mother fucker", des bloggeuses comme les "mauvaises mères", la parole s'est un peu plus ouverte à ce sujet!

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  2. Chère Sophie,
    Tu sais combien je te suis reconnaissante pour tes mots durant mon propre congé mat.
    C'est grâce à toi, que je n'ai pas craqué, que je n'ai pas touché le fond. C'est grâce à toi que j'ai su que des jours meilleurs allaient arriver, qu'un lien allait se créer.
    Je t'en serai toujours reconnaissante.
    Je découvre encore des choses en te lisant et je t'admire toujours !
    Bises

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  3. Merci Clémence! C'était la moindre des choses, j'aurais tellement aimé que quelqu'un me dise à l'époque que c'était normal et que le meilleur allait arriver! mais fallait-il encore oser en parler! :-)

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  4. Oui, très touchant , et une belle victoire!

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  5. Merci pour ce billet ! C'est important d'en parler et j'espère que ça t'a fait autant de bien de l'écrire qu'à nous de le lire.

    J'ai beaucoup moins souffert que toi, mais je reconnais certains points communs. Comme toi, je n'ai as ressenti ce "grand élan d'amour" à la naissance de mon aîné. J'ai paniqué quand on me l'a mis dans les bras, je me suis demandé ce que j'allais faire de ce bébé. Et puis ça s'est arrangé. Aujourd'hui, nous sommes très proches. Comme pour vous deux, notre relation s'est construite peu à peu pour devenir quasi fusionnelle.
    Pour mon second, cependant, ça a été le grand amour tout de suite. Je crois que, celui-ci, j'étais prête à l'accueillir : j'avais voulu mon aîné, mais je ne savais pas ce qui m'attendait, et je savais que j'y arriverais.

    Je ne crois pas que l'amour naisse par magie. Il se construit. La construction peut être rapide, quand on est prêt à accueillir cet amour, mais il y a mille et une manière de l'étouffer. Avoir besoin de temps, ce n'est pas être un mauvais parent, c'est être humain.
    Ou alors on est nombreux à être des monstres. ;-)

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    1. Absolument d'accord! lire un témoignage comme le tien m'aurait fait beaucoup de bien à l'époque!

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  6. Merci de ce témoignage sur l'amour maternel en construction !

    Je me suis reconnue sur le passage du père. Je lis encore très rarement l'histoire du soir et ce n'est pas moi que Progéniture (3 ans et demi) appelle en premier.

    Depuis mon expérience de la maternité, je répète souvent aux femmes enceintes de mon entourage proche : ce sera beaucoup de bonheurs, mais aussi l'horreur, n'hésite pas à te faire aider. Ma cousine m'a assuré que ça l'avait aidée dans les moments difficiles, et par ricochet, une de ses amies qui ne savait pas qu'on avait "le droit" de ne pas être submergée de bonheur 100% du temps, loin de là !

    C'est dingue cette "injonction au petit nuage" non ?

    Bref, ce type de billet est de salubrité publique ! Merci.

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    1. L'injonction du petit nuage, j'aime beaucoup! on avait déjà celle du corps de rêve, de la carrière de business woman et de l'épouse parfaite, il nous manquait celle-là! Je crois en effet qu'il est important de prévenir les futures mamans, sans pour autant dramatiser. C'est ce que j'essaye de faire aussi, le plus diplomatiquement possible!

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  7. Maître Mistinguette18 juin 2012 à 21:03

    très vrai... je n'ai pas vécu cela au même niveau - peut être parce que ma fille ne pleurait pas tt le temps - mais les premiers mois avec bébé ont été très durs. Et même encore maintenant, après 3 ans presque et demi et un 2e bébé, quand je vois une femme enceinte, au lieu de voir le positif, je me dis "est-ce qu'elle sait ce qui l'attend ?"

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  8. Maître Mistinguette18 juin 2012 à 21:05

    complément au précédent commentaire : par contre, ma fille est au contraire super collée à moi. Si on l'écoutait ça serait tjs moi qui la coucherait, moi qui, moi qui...

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  9. Et puis aussi, quelle idée bizarre que notre culture, qui nous pousse à croire qu'on peut "gérer seule" un bébé. Dans beaucoup de cultures, et la nôtre bien avant, une femme avec un bébé se retrouvait entourée de plein d'autres femmes, histoire de faciliter ce passage parfois merveilleux et parfois non.
    Et puis aussi n° 2, les enfants ont chacun leur tempérament, ils sont plus au moins sensibles. A l'hôpital, l'enfant en face de ma chambre pleurait pour lui-même + chaque fois que mon bébé ou celui de ma voisine pleurait. De quoi mettre les nerfs de la maman en pelote.... Et puis il y a ceux qui font facilement leur nuit, etc. On est pas toutes logées à la même enseigne !

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    1. C'est vrai! à une époque, les femmes de la famille entouraient la nouvelle accouchée! De nos jours, après 3 jours de maternité, on se retrouve en tête à tête avec un bébé dont on n'a pas le mode d'emploi! Pas toujours simple!

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  10. Comme je me reconnais dans ce que tu dis ! C'est fou, je pensais être la seule, à l'époque... Et comme ça fait du bien de lire que ça n'est pas le cas, même si j'aurais aimé pouvoir le savoir plus tôt !
    De retour de la maternité, après la naissance de Bibou 1er, j'étais complètement flippée, déprimée, désorientée. Heureusement je n'étais pas seule : mon pacsman, le papa, ne travaillait pas et s'occupait du bébé au moins autant que moi. L'allaitement a été un fiasco, et en plus je culpabilisais de ne pas y arriver.
    En fait, je culpabilisais pour tout, parce qu'enfin quoi, n'étais-je pas censé être heureuse dans la plénitude de la fusion mère-enfant ? N'étais-je pas censé le comprendre, savoir traduire ses moindres pleurs, devancer ses désirs ? QUE DALLE ! Un jour, mon conjoint m'a retrouvé en larmes, figée devant le lit de notre bébé qui pleurait lui aussi. A sa question : "Mais qu'est-ce qui se passe ?", j'ai été incapable de répondre, les yeux pleins de larmes mais le regard mort. Il a eu très peur. Moi aussi. Personne ne nous prévient. Et personne ne prend encore assez au sérieux la détresse des jeunes parents épuisés, inquiets et culpabilisés. C'est quand notre bébé a eu 3 mois que les choses se sont enfin calmées : j'ai repris le travail, confiant la prunelle de mes yeux à la garde de son père, qui lui restait à la maison. Et à tous ceux qui me disaient : "Oh, c'est si dur de reprendre le travail après un congé maternité, ça va ?", je répondais que oui, oui, ça va, merci, et je me demandais si j'étais normale : j'étais si heureuse de retravailler ! Alors bon, ne va pas croire que c'était parce que je reprenais le travail que ça se passait bien, hein : nous commencions à trouver notre rythme, le bébé, le papa et moi. Ça se passait mieux, Mister bébé était calme et souriant, il grandissait bien, et cette bulle d'amour qui ne demandait qu'à éclater grandissait, grandissait, elle était là depuis le début mais enfouie sous la frousse. Il est long le chemin qui mène à "l'amour maternel" (ah ah ah) et la lecture des livres d'Elisabeth Badinter m'a fait un bien fou !
    Comme pour toi, l'arrivée de ma deuxième Cahouète a été totalement différente : cette fois-ci, je savais. Non seulement ce qui m'attendait, mais aussi que j'y arriverai. Et tout a été plus facile. Mais après quel parcours !
    Je m'épanche ici et je me rends compte que ce message est bien long : j'espère que tu ne m'en veux pas, et merci, merci de me donner cette occasion de laisser sortir ce qui, je le pensais à l'époque, faisait de moi une mauvaise mère, forcément !

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    1. T'en vouloir??? oh non au contraire, ton témoignage est précieux, pour moi comme pour toutes les autres mères qui peuvent passer par là! Merci beaucoup de t'être confiée!

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