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lundi 9 septembre 2013

Cartes du tendre



Hier après-midi j’ai fait un tour à la brocante qui se tenait pas très loin de mon nouveau chez-moi.

Au détour d’un stand, entre 2 masques à gaz, 3 soldats de plombs et un sac en croco, je suis tombée en arrêt sur un lot de cartes postales anciennes.




Des cartes par centaines, aux tons pastel et sépia, témoins d’une époque où l’écrit occupait une place de choix, à des années lumière du téléphone portable et des réseaux sociaux. 


Des cartes pour toutes les occasions : pour célébrer le 1er avril ou accompagner un bouquet de fleurs, envoyer ses pensées à une amie ou lui souhaiter sa fête, pour déclarer sa flamme dans l’attente enfiévrée d’une réponse. 


Des couples enlacés, des femmes apprêtées tenant dans leurs bras un bouquin ou un panier rempli de poissons, des angelots et des saints. Il y avait toujours une occasion pour manifester son affection à l’autre, tisser le lien, en dépit de la distance et de la durée imprévisible de la réponse.




Attirée par leur look gentiment rétro, j’ai été surprise de découvrir à leur verso des messages manuscrits.



D’une écriture très appliquée, tout en pleins et en déliés, les mots de ces inconnus me plongèrent alors instantanément dans leur intimité. Des bribes de vies sorties du néant pour quelques instants et autant de tranches d’existence jetées en vrac dans une vulgaire boîte en bois.

« Ma chère Joséphine, je ne t’écris pas souvent mais maman pourra te dire l’occupation que j’ai pour le chant, la musique et le travail, et me promener. Je vais souvent chez M et Mme Crosnier, ils sont venus passer la journée du lundi  de la Pentecôte chez moi, je les aime beaucoup. Je ne t’oublie pas et quand j’irai à la Membrolle, j’espère te voir et tu me trouveras toujours la même, très gaie. J’ai beaucoup d’amis et je suis très estimée, s’il me fallait m’en aller on me regretterait, surtout pour les cérémonies d’église. Quand est ce que tu viens me voir, peut-être pas cette année mais l’année prochaine je l’espère. Ne m’oublie pas auprès de ta mère de qui je garde un bon souvenir. A toi ma chère Joséphine je t’envoie mes meilleures amitiés. Marie »

Une autre, terriblement émouvante, écrite du front :

« Mardi 4 décembre 1945, 2h ¼
Ma petite Jeannou,
J’écris cette carte, me voici de retour au pays avec le cafard comme de juste car mon amour pour toi, vois-tu, est sans borne. Mon cœur est plein de beau sentiment pour toi. Je t’aime de cet amour que rien ne saura détourner. Bientôt petite Nine nos 2 cœurs n’en feront qu’un. Tu seras heureuse ce jour-là car plus jamais nous ne nous séparerons. Notre foyer sera beau car nos cœurs se comprennent. Et dans cette maison où tu as passé ton enfance, ton cœur sera rempli de joie et de bonheur car celui qui tu aimes sera là pour te guider et suivre la route qui nous est tracé. Je finis sur ces mots. A toi toujours mon amour que j’aime. Les baisers sur ton front de celui qui n’a qu’une pensée, de te rendre heureuse. Raymond avec les plus tendres baisers ».

Et nous, qu’adviendra-t-il de nos tweets, statuts Facebook ou billets de blog jetés au vent comme des bulles de savons? Intéresseront-ils ou attendriront-ils nos descendants ? Pas sûr…


6 commentaires:

  1. Qu'est-il devenu Raymond ? Par quel cheminements son courrier du coeur s'est il retrouvé dans une brocante, 60 ans plus tard ? Très émouvant tout ça.

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  2. Oui je me suis posée la question : tué à la guerre? A-t-il épousé sa Jeannou? Il y aurait matière à roman là-dedans!

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  3. bon, j'vais faire le grincheux mauvais esprit retord pour ne pas avouer combien je suis en fait tendrement touché par ces quelques lignes...
    mais me suis demandé dans quelle mesure ce raymond ne risquerait-il pas, de nos jours, d'être estampillé de "poire le player" ? il est gentil : certes. mais justement, on nous a expliqué que c'était uniquement pour... donc bon...

    nan, ce qui m'embête chez Raymond, c'est qu'il ne fait que répéter qu'il veut le bonheur tout tracé d'avance de sa douce, pour la guider sur "leur" destinée...

    euh... je sais pas hein... peut-être ont-ils fait une bonne et douce famille... ou un truc plus courant et moins rose...

    j'ai retrouvé il y a des années les lettres de mes parents lors de leurs premières années de fiançailles et ça me paraissait niaiseux... mais bon, ils ont tout fait pour que ma vision du couple soit à jamais terne...

    en revanche, j'ai trouvé très fraîche la lettre d'amitié de Marie...

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    1. Owi, soyons blasés par les sentiments amoureux et la poésie qui est découle, c'est une bonne idée, ça tiens.

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    2. bon aller, j'suis pas si méchant hein : http://pages.riluma.fr/spip.php?article2

      mais bon c'est vrai que j'ai jamais rien écrit en étant amoureux : j'attendais que ça passe. et ça passe passe parce que je trouvais de la poésie et du sens d'aimer ailleurs...

      mais bon...

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  4. J'ai quatre ans de correspondances (au moins une lettre par jour chacun, des centaines de documents...) de mon grand-père et sa future femme entre 1915 et 1918, ainsi qu'un nombre incalculable de cartes postales de toute la famille et des amis à la même période. J'ai découvert avec tendresse et amusement l'amour de ce tout jeune homme que je n'ai connu que très âgé, pour une femme que je n'ai pas connue du tout (elle est morte après quelques années et mon grand-père s'est remarié avec ma grand-mère).
    Le plus touchant, c'est l'expression de cet amour débordant (le style d'écriture ampoulé de l'époque ?) de la part d'un homme qui était assez "va-t-en-guerre" et militariste dans mon souvenir ; le plus amusant, ce sont ses efforts sans cesse renouvelés pour se faire porter pâle et rester à l'hôpital sous n'importe quel prétexte (migraine, cheville foulée, convalescence interminable...), bref pour rester à l'abri du danger, même s'il reconnaît dans ses lettres que ses chefs et/ou médecins ne sont pas toujours dupes... et même s'il disait bien plus tard dans les repas familiaux qu' "il aurait fallu fusiller tous ces pacifistes qui pouvaient nous faire perdre la guerre" !

    Sophie

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