> Toutes les familles sont psychotiques (mais certaines plus que d'autres)

samedi 10 novembre 2012

Toutes les familles sont psychotiques (mais certaines plus que d'autres)



J’ai une espèce de 6ème sens pour les mauvaises nouvelles, les bugs de la vie, les petites et grosses contrariétés.

Quand j’ai vu passer, hier, le mail d’une personne de ma famille dans ma boîte, je savais, avant même de l’ouvrir, qu’il ne sentait pas bon. Alors qu’elle aurait pu m’écrire pour l’anniversaire de mon fils qui est dans quelques jours, je pressentais d’emblée qu’il n’était pas question de cela.

« J’ai appris que tu avais ouvert un blog ». Belle entrée en matière. En effet, lorsque nous avions déjeuné ensemble en compagnie de ma mère il y a quelques mois, je l’en avais informée. Elle s’était, comme à son habitude, montrée sarcastique « envers ces gens qui ouvrent des blogs en s’imaginant qu’ils ont tous des choses passionnantes à dire ». Je lui avais répondu que tout le monde a, en dépit de ce qu’elle peut penser, des choses à dire.

Elle n’avait pas tenu compte de mon avis, comme d’habitude.

Dans la suite du mail, elle me demande ensuite, sans autre forme de transition, de supprimer immédiatement la photo de ma grand-mère puis m’accuse dans cet article de « jeter en pâture ce qui n’appartient qu’à elle » «  alors qu'elle était d'une pudeur infinie quant à ce qu'elle avait subi ». « Toi qui la connaissais, comment ne t'es-tu pas demandé ce qu'elle aurait pensé de ce billet, de ta façon d'étaler sa vie, son identité, son image, elle qui n'était que retenue et discrétion. »

J’ai eu un nombre incroyable de retours au sujet de ce billet, "sa silhouette à la fenêtre" : de petits-enfants ayant perdu leur grand-mère et qui, grâce à ce récit,  ravivaient leur souvenirs. D’autres dont la grand-mère était encore en vie et qui juraient de profiter du temps présent en sa compagnie.

Même ma famille maternelle, qui ne la connaissait que très peu, a été unanimement touchée par cet hommage. Car oui, il s’agissait bien d’un hommage à ma grand-mère, aucunement d’un étalage vulgaire en vue de faire de l’audience.

J’ai relu après coup le texte et je n’y ai rien vu de racoleur ou d’impudique. Je n’y changerai pas un mot, même après ce mail . J’ai juste décidé de supprimer la photo de sa carte d’identité, car je peux comprendre que la vision de ce cliché puisse émouvoir sa propre fille.

Sa réaction à l’égard de ce texte dit beaucoup sur la loi du non-dit qui règne dans ma famille paternelle. Surtout ne pas faire de bruit, masquer tout lien avec le judaïsme, refouler tout ce qui s’est passé pendant la guerre. Ainsi, en n’en parlant pas, on peut se dire que rien n’est arrivé. Ne rien dire, c’est faire preuve de « pudeur », de « retenue », ceux qui s’épanchent sont des faibles ou des exhibitionnistes. Quitte à se construire sur le mensonge. Et gare à celui qui brisera cette loi du silence, il mettrait alors en péril ce précaire équilibre.

Pour moi, dire c’est transmettre, faire vivre la mémoire de ma grand-mère et indirectement celles de 6 millions de morts. C’est aussi une forme de témoignage laissé à mes enfants et à leur descendance.

Je revendique le droit de m’approprier mon histoire familiale. Personne ne détient l’exclusivité ou le monopole de la mémoire de ma grand-mère. Mes souvenirs ne valent pas moins que ceux de sa fille, ma façon de les raconter non plus. Je refuse cette dictature historique, cette loi de la vérité unique, cette sanctuarisation de la mémoire. D’autant que je n’ai rien révélé de grave ou d’offensant.

Ecrire sur sa famille n’était pas anodin, je le savais, même si je n’ai mis à nu aucun secret sulfureux. J’ai juste rendu compte de ma vérité. Et visiblement c’était déjà trop.







6 commentaires:

  1. Tu n'as rien à te reprocher. Ton billet sur ta grand-mère est très beau et n'a rien d'impudique. Au contraire, tu as fait preuve d'une grande délicatesse dans tes descriptions.

    Son mail ne dit rien sur ce que tu as écrit, mais il en dit long sur les souffrances de son auteur. Espérons qu'elle trouve quelqu'un pour l'aider.

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  2. Ben oui, la maman pied-noire ! J'ai la même à la maison...

    Ton billet relatant avec émotion le souvenir de ta grand mère est tout en simplicité et en émotion. Il est beau. L'incapacité de ta détractrice à partager ses souvenirs, voire que ceux-ci soient exprimés avec d'autres émotions que les siennes, ne justifie pas la lettre et les reproches que tu décris.

    Mais basta ! J'ai eu récemment une réaction du même acabit, lorsque ma mère a découvert mon blog et en particulier sa «recette-à-dire» de couscous, souvenir d'enfance par excellence : http://caracteresep.wordpress.com/recettes-a-dire/couscous/

    Mon dieu quelle affaire !

    Bon courage.

    Bruno (Trente Mai)

    P.S. : je n'ai pas trouvé comment m'abonner à ton blog simplement en indiquant mon e-mail

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  3. Lorsque j'ai écrit mon livre sur ma grand-mère, j'ai eu un type de réactions similaires : une tante, une cousine, m'ont annoncé d'emblée "je ne le lirai pas". L'une a même ajouté : "je crois qu'elle - NB : ma grand-mère - aurait été très gênée que l'on parle d'elle et que ce soit lu" !

    Alors aux "fâcheux" (dont je comprends, ceci étant, la gêne, car plus on est proche de quelqu'un dans l'ordre de la filiation, plus on a tendance à considérer qu'il nous "appartient plus"), je réponds : "nul ne peut penser à la place des morts".
    Et rien ne dit, nul ne peut prétendre, que la grand-mère en question n'aurait pas été quelque part, émue, "soulagée" d'un poids, "réconfortée" , eu égard aux épisodes douloureux de la vie et chacun/chacune a les siens, par ce qui avant toute chose, doit être considéré et reçu comme un hommage.

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  4. En effet, Caroline, quand j'ai reçu ce mail qui m'a pas mal ébranlée je dois dire, j'ai tout de suite pensé à toi, au livre que tu avais consacré à ta grand-mère et j'ai imaginé quel genre de réactions il avait pu susciter (alors qu'il était très touchant et respectueux). Comme tu le dis très bien "nul ne peut penser à la place des morts" d'autant que vers la fin de sa vie ma grand-mère avait subitement ressenti le besoin de se confier auprès de moi de ce qu'elle avait vécu pendant la guerre, comme pour se libérer.

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  5. Le silence c'est l'oubli. Écrire c'est faire oeuvre de mémoire.
    Pourquoi les gens des familles ont toujours si peur de leurs membres les plus doués et les plus créatifs ?

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  6. Merci pour "les plus doués et les plus créatifs" c'est adorable, même si je ne m'y reconnais pas!
    Je pense qu'ils ont surtout un problème avec les gens qui ne disent pas LEUR vérité

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