> Poulerousse ou la propagande de la bonne ménagère

jeudi 23 août 2012

Poulerousse ou la propagande de la bonne ménagère



L’autre jour, après avoir fait tourner les 10 machines correspondant au contenu de mes valises, je ramassais quelques jouets qui trainaient dans le salon quand ma fille me lança, sans préavis « C’est bien maman, tu es une bonne ménagère ».

Grosse claque. Donc ma fille connaît le mot « ménagère », me l’attribue et l’associe à quelque chose de valorisant. Heureusement, elle n’a pas rajouté « de moins de 50 ans », on a évité le pire. Mais j’ai eu mal à mon féminisme quand même.

En essayant de trouver l’origine de cette expression, un peu iconoclaste dans la bouche d’une petite fille de 4 ans en 2012, je me suis souvenue d’un livre acheté récemment intitulé « Poule Rousse ».  Un classique du Père Castor décrit en 4ème de couverture comme « un vieux conte nouvellement raconté par Lida ».


Même si les mots sont un peu plus modernes, l’histoire est toujours aussi stéréotypée, véritable ode à la ménagère.

Pour une fois qu’un personnage de livre pour enfants était une héroïne, il ne fallait pas trop en demander !

Dès le début du livre, Poulerousse est décrite à travers son foyer :

 « Dans ce jardin, il y  une maison : c’est la maison de Poulerousse. Dans la cuisine et dans la chambre, tout est propre et bien rangé. Poulerousse est une bonne ménagère : pas un grain de poussière sur les meubles, des fleurs dans les vases et aux fenêtres de jolis rideaux bien repassés. C’est un plaisir d’aller chez elle. »



Voici donc d’où vient la propagande de la bonne ménagère! Sauf que chez moi, les fleurs crèvent en une journée, la poussière s’accumule et les rideaux ne sont pas repassés mais ma fille ne semble pas l’avoir remarqué ! Dans son esprit, bonne ménagère est forcément associé à quelque chose de valorisant !

Un peu plus loin, on nous apprend que Poulerousse à une amie, la tourterelle. Pour autant, elle n’explorent pas le monde extérieur ensemble et restent confinées toutes deux dans la sphère intime (ce sont des héroïnes, ne l’oublions pas !).

« Elles ont beaucoup de choses à se dire. Elles s’assoient en face l’une de l’autre. Elles boivent un tout petit verre de vin sucré, croquent des gâteaux secs. Elles chantent, jouent aux dominos, ou bien elles travaillent en bavardant. La tourterelle tricote. Poulerousse aime mieux coudre ou raccommoder. Du reste, elle a toujours dans sa poche une aiguille tout enfilée, un dé et des ciseaux. Et elle est toujours prête à rendre service aux uns et aux autres, en raccommodant un accroc ici ou là ».

Comme ce sont des héroïnes, elles associent futilité (bavardage, jeu, dégustation de vin et de gâteaux) et utilité : lorsqu’elles travaillent, il s’agit de raccommodage, de tricot ou de couture. La seule fois où Poulerousse sort de son sacrosaint foyer pour chercher du bois, elle est capturée par le loup (ce qui sonne indirectement comme un avertissement envers les jeunes lectrices ! gare à celles qui oseraient se frotter au monde extérieur !).

Elle est heureusement sauvée par son amie la tourterelle qui fait diversion tandis que Poulerousse se libère du sac dans lequel elle est enfermée grâce à…son dé, ses ciseaux et son aiguille ! (nouvelle valorisation des outils de la ménagère !).

Suite à cette mésaventure, « Poulerousse et la tourterelle ne se quittent plus ».
Néanmoins, elles ne partent pas pour autant à la découverte du monde. On les retrouve à la fin du livre, bras dessus bras dessous, toujours confinées au sein du foyer mais ensemble : « Elles vivent ensemble dans la maison de Poulerousse. Elles sont très heureuses ».

On a au moins échappé au sempiternel « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »…

Comme je l’avais déjà expliqué dans un précédent billet, la littérature enfantine est plus stéréotypée que la réalité, cet exemple l’illustre bien.

Anne Daflon-Novelle, docteur en psychologie, a mené 3 études très complètes en 1994, 1997 et 2000 portant sur les représentations des 2 sexes dans la littérature enfantine. Il en ressort des disparités flagrantes de représentation, tant au niveau quantitatif que qualitatif.

Les chiffres sont éloquents : on note 2 fois plus d’héros que d’héroïnes et 10 fois plus d’héros animaux que d’héroïnes animales ! Les stéréotypes également ont la vie dure : les femmes et les fillettes sont plus souvent représentées à l’intérieur qu’à l‘extérieur et dans des activités passives. A l’opposé, les hommes et les garçons sont davantage illustrés dehors que dedans, vaquant à des occupations actives. Les femmes sont essentiellement présentées en tant que mère dans des tâches ménagères ou de soins courants aux enfants, dont les fils sont majoritairement les bénéficiaires. Lorsqu’elles sont identifiées comme ayant une situation professionnelle (15 % d’entre elles contre 32 % des hommes dans l’étude de 1994) elles sont cantonnées aux métiers de l’enseignement, au soin des enfants ou au commerce. Les hommes ont des activités professionnelles plus variées et valorisées.

Les conséquences de ces représentations sont nombreuses : "Pour les filles, le manque de modèles valorisants porte un coup à l'estime de soi et conditionne des comportements. Les stéréotypes de la littérature enfantine restreignent par exemple leurs choix professionnels: il leur est difficile de choisir un métier qu'elles n'ont jamais vu exercer par d'autres femmes. Les garçons sont également confinés dans un rôle rigide: ils auront plus de difficulté à choisir un métier dit "féminin", par peur des moqueries de l'entourage, des copains" explique Anne Daflon-Novelle.

Heureusement, il existe des alternatives, comme les éditions « Talents Hauts » ou les « Editions pour penser à l’endroit ». 
Histoire de proposer aux petites filles d’autres modèles que la ménagère accomplie !

16 commentaires:

  1. J'imagine l'étonnement d'entendre une petite de 4 ans dire ça... Quand j'étais petite j'avais reçu "l'arbre sans fin" de Claude Ponti, ou la petite Hippolène est un bel exemple d'héroïne qui part à l'aventure et en sort grandie (elle tient tête à des monstres,...) je l'ai racheté une fois adulte pour être sûre d'avoir l'album si un jour j'ai une fille.

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  2. Mes enfants ont des livres de Claude Ponti mais pas celui-là! merci pour l'info, je vais aller l'acheter!

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  3. Tu me replonges dans mon enfance (j'avais la version "originale" à la maison, compte tenu de mon âge canonique aujourd'hui ^^). Tu penses bien que je n'en avais pas cette lecture là à l'époque. je trouve ton analyse vraiment intéressante et j'ai appris des choses. Maintenant, je suis l’illustration que malgré un matraquage de ce genre de concept quand j'étais enfant (si on avait Poulerousse, on en avait d'autres du même style), je ne sais pas coudre, j'ai de la poussière chez moi, je suis bordélique, le loup ne se risquerait pas à m'approcher (sans que je ne l'y ait invité)...
    Tu as du avoir un drôle de coup au cœur quand tu as entendu ta pitchoune...salutaire cependant puisque tu as été inspirée pour cet article!! ;-)
    Tu vas me trouver un peu tordue mais...deux figures féminines vivant sous le même toit en conclusion de cette histoire : une manière de parler de l'homosexualité?

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    1. J'ai de vagues souvenirs aussi, comme toi je n'ai pas été influencée par l'image de la bonne ménagère, il suffit de regarder la tonne de poussière ou mes draps froissés roulés en boule dans l'armoire! :-)
      J'ai eu la meme interprétation que toi en lisant l'histoire à ma fille, on doit être tordue toutes les 2 alors! :-) Pas sure néanmoins que ça soit voulu consciemment par l'auteur!

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  4. Zut, je n'y avais pas pensé. Mes enfants ont eu tous les comptes du père Castor.
    Heureusement qu'il ya autre chose que les comptes pour grandir.

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    1. Mes enfants en ont pas mal aussi, tous ne sont pas aussi stéréotypés! Et puis, tant qu'on leur lit aussi d'autres choses et que la discussion est ouverte, ce n'est pas grave!

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  5. Moi je me souviens m'être ennuyée quand j'ai lue l'histoire (je ne me souviens pas de mon age mais il est possible que je l'ai lues trop tard pour l'apprécier puisque je savais déjà lire...) et pourtant j'ai l'impression d'être la seule à savoir coudre des commentaires... comme quoi ces histoires n'ont pas forcément beaucoup d'influence... (mais peut être qu'apprendre à coudre pour devenir un bon chirurgien ne compte pas? :) )
    Dsl pour ce commentaire un poil long mais comme j'adore ce blog et que je ne commente pas des masses...

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    1. Oh non ne sois pas désolée, je suis toujours ravie d'avoir des retours sur mes posts!
      Ton ressenti semble confirmer le peu d'influence du livre, c'est intéressant!

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  6. Je crois connaître aussi ce livre...cela dit, l'idéal de la parfaite ménagère qui chasse le moindre grain de poussière et recoud le plus petit accroc tout en s'occupant des autres ne peut de toute façon pas être atteint, c'est pourquoi peu d'enfants lectrices ne vont ressembler un jour à Poule Rousse.
    D'abord, il y a par nature des êtres plus ou moins ordonnés et soucieux de leur logis que ce soient des hommes ou de femmes. Cela ne se commande pas vraiment mais l'intention de dressage est bien là. C'est pourquoi cette "littérature" fait des ravages.
    S'il y avait pour compenser Poule Brune astronaute, ce ne serait pas grave mais, en effet, comme tu le dis, les modèles féminins version littérature enfantine sont tous indigents et cela depuis des générations et des générations alors même que des millions de femmes à travers l'histoire ont exercé bien d'autres métiers que celui de ménagère !
    C'est donc bien une volonté de dressage qui est à l'oeuvre.
    Depuis les années 70 néanmoins (mais malheureusement cela fait 40 ans que ce mouvement est marginal) des éditions se créent pour proposer autre chose. Il y a eu Harlin Quist, puis "Le sourire qui mord" et aujourd'hui ceux que tu cites.
    Mais cette littérature ne bénéficie pas d'un réseau grand public et l'on ne trouve aucun livre "féministe" en supermarché.
    Tant que le grand public est otage d'une telle propagande, on ne va pas en sortir.

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  7. Oui tu as raison, la littérature alternative reste confidentielle et absente des rayons de supermarché, ce qui est bien dommage...Sans doute aussi que les parents qui les achètent sont ceux qui en auraient le moins besoin (car déjà sensibilisés indirectement au féminisme et à la problématique du genre).

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  8. Pourrais-tu, STP, me filer d'urgence les coordonnées de Poule Rousse, j'ai plein de petits travaux couture à faire... mais attention, je veux bien payer mais pas cohabiter ! ;-)

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  9. Tu as été dégoutée de la colocation Caro? :-)

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  10. Des Poules Rousses, je pense que j'ai du en lire plein, héritée de ma mère. Mais je me souviens aussi (dans les années 70/80) des Belles Histoires, et trois en particuliers :
    - Dans la première, papa et fiston font les courses (oui, les courses ! le papa sait où se trouve le magasin et va faire les courses de la semaine), ça se finit en petit garçon perdu dans les escaliers noirs de son HLM, mais le détail du début frappe, a posteriori.
    - Dans la seconde, une maman et son fiston font les courses. Sauf que cet évènement très banal finit en enlèvement par des extra-terrestres et que c'est le sac à main (et plus précisément le ciseau à ongle) de maman qui va permettre de mettre à mal cet ET pas sympa. J'adorai cette histoire.
    - dans la troisième, un papa et une maman ne veulent qu'un garçon et enferment leurs trois filles dans le grenier. Jusqu'au jour où celles-ci en ont assez et descendent pour dire à maman et papa qu'elles aussi peuvent jouer au ballon !
    Je ne sais pas si la collection existe encore aujourd'hui, mais je la trouve plutôt culottée et très moderne (j'ai gardé tous les numéros)

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  11. Je connais très bien ce livre, que j'aimais beaucoup enfant.
    L'année dernière je l'ai raconté de mémoire à un enfant. Sans le faire exprès j'ai zappé le "bonne ménagère" en me souvenant seulement qu'elle aimait coudre, puisque c'est important pour l'histoire. Comme quoi, on n'est pas forcément marqué !

    Et en le racontant de mémoire je me suis dit aussi qu'à la fin, elles habitaient toutes les deux et que c'était peut-être plus que des amies ;-)

    Et sinon, pour les livres pour enfant ce qui me choque bien plus c'est que ce genre de stéréotypes soit encore présent dans des histoires écrites aujourd'hui, dans les magazines pour enfants notamment...

    Mon conseil de lecture pour les enfants : Sept milliards de visages. ça n'a rien de féministe, mais ça ouvre l'esprit, c'est déjà ça !
    http://www.ecoledesloisirs.fr/php-edl/catalogues/fiche-livre.php?reference=07625

    (désolé pour le "Anonyme", je n'ai aucun des comptes requis pour pouvoir donner mon nom !)

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    1. Je ne connaissais pas ce livre, 1000 mercis du conseil, je le note pour mes enfants!

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  12. Oh mais oui, maintenant je me souviens de cette collection "Les Belles histoires" je les lisais à l'école primaire avec beaucoup de plaisir! Je viens d'aller regarder et ça existe encore! je vais voir si je peux le trouver en kiosque, merci de l'info!

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