> Le brevet de féminisme ou le mythe de la militante parfaite

dimanche 24 août 2014

Le brevet de féminisme ou le mythe de la militante parfaite




Quand on se déclare féministe (ce qui n’est toujours pas simple en 2014), c’est un peu la double peine : il y a ceux qui vous traitent immédiatement d’hystérique/de poilue/de mal-baisée.

Et ceux qui vous déclarent mauvaise féministe. Enfin, je devrais écrire « celles » car très souvent, d'après ma propre expérience, cette accusation émanait de femmes.

On m’a ainsi retiré de nombreuses fois mon brevet de féminisme. Parce que je postais des photos de recettes de cuisine ou de chaussures. Parce que j’écrivais pour des « média bourgeois ». Parce que je m’épilais. Et plus récemment, parce que j’ai envoyé un colis à mon fils quand il était en colonie de vacances (je pense que j’aurais dû l’affamer pour mériter ma médaille de bonne militante).

Très régulièrement, des personnes n’ayant qu’une vision très sommaire du féminisme (doux euphémisme) s’amusent à décerner des brevets de militante ou plutôt à les retirer sur des critères tous plus fantaisistes que les autres.

Le magazine « Elle » a ainsi proposé à ses lectrices un sondage intitulé « Etes-vous une vraie féministe ? », avec pléthore de clichés en tout genre. Un peu comme si le Ku Klux Klan s’amusait à décerner des brevets d’antiracisme.



C’est aussi le cas de cette journaliste du Figaro (journal de référence du féminisme) qui a décrété que Florence Foresti n’était pas vraiment féministe en dépit de celle qu’elle affirmait.

Selon la journaliste, le combat numéro un du féminisme moderne est…(roulement de tambour) le marketing genré.

Ah bon, merci de cette précision, je cherchais justement partout la liste des combats prioritaires.

Parce que quand je parle ici de marketing genré, on me demande de m’occuper des femmes afghanes.

Quand je parle des collégiennes enlevées au Nigéria, on me demande de m’occuper plutôt des femmes battues en France.

Quand je parle des femmes battues en France, on me demande de m’occuper plutôt des femmes violées.

Et quand je parle des femmes violées, on me dit que tous les hommes ne sont pas de violeurs.

Le combat numéro un du féminisme est donc le marketing genré.

Exit donc la pluralité des combats. La lutte pour l’égalité salariale, le droit à disposer de son corps, la parité, lutte contre le sexisme ordinaire, les violences faites aux femmes.
Exit aussi la pluralité des opinions au sein du féminisme.

Mais ça ne s’arrête pas là. Pour Le Figaro, Florence Foresti n’est pas une vraie féministe parce qu’elle revendique un « spectacle de gonzesses ».

Une citation hors contexte, certes un peu maladroite, mais qui ne mérite surement pas un jugement aussi sévère. Il faudrait préciser à cette journaliste que se déclarer féministe c'est avant tout aspirer à l'égalité hommes/femmes. Le féminisme n’est pas un dogme et il n’existe pas de charte établie de la militante parfaite. Chacun(e) chemine, à son rythme et selon ses propres contradictions. Déconstruire les stéréotypes prend du temps et ne se fait pas instantanément en faisant serment d’allégeance au féminisme, la main sur le cœur. Et l’on commet tous et toutes des erreurs. Récemment, une bande-dessinée intitulée « Le féminisme mais pour quoi faire ? » créée en réaction au Tumblr « Women against feminism » a d’ailleurs déclenché le débat au sein des sphères militantes.


Très partagée sur les réseaux sociaux par des personnes pas forcément au fait du féminisme, elle a posé question à de nombreuses d’entre nous (moi la première) car elle possédait de nombreux aspects problématiques (notamment en renforçant les stéréotypes au lieu de les dénoncer).

Pourtant, je l’ai partagée en dépit de toutes ses maladresses. 

Parce qu’elle peut toucher des personnes qui ne se seraient pas forcément intéressées à la question du féminisme autrement. Parce que tout le monde ne commence pas forcément à s’intéresser au féminisme en lisant Butler ou Dworkin. Parce que cette bande-dessinée peut être la première étape d’une prise de conscience qui donnera envie au lecteur ou à la lectrice de lire quelque chose de plus complexe et fouillé. Parce que son auteure a fait des erreurs certes mais qui n’en fait pas et peut se proclamer féministe au-dessus de tout soupçon ?

Qui sommes-nous pour distribuer les bons points et les bonnets d’âne ? Est-ce vraiment utile de se demander à longueur d’articles si Beyoncé est vraiment féministe ? Si Miley Cyrus dessert la cause (est-elle féministe ou vulgaire s’interroge cet article ?) ?

Charlotte Pudlwoski citait dans son article pour Slate en juin dernier Roxane Gay, professeure d'anglais, féministe et auteure d’un essai intitulé « Bad Feminist ». Celle-ci se revendiquait ironiquement «mauvaise féministe»: « parce qu'elle ne combat pas toutes les aliénations de la femme dans la société, parce qu'elle ne respecte pas tout le temps, sans cesse, une ligne de conduite qui permettrait sans équivoque aux femmes d'être sur un pied d'égalité avec les hommes ».

« Cette culpabilité sur le féminisme –savoir s'il est bien ajusté, s'il est bien respecté, bien revendiqué–  c'est une culpabilité qui s'ajoute à celle qui pèse déjà sur les femmes à l'ambition trop grande, à l'autorité trop écrasante, aux cuisses trop larges, aux cheveux trop bouclés » concluait ainsi Charlotte Pudlwoski . « Aux mauvaises épouses. Aux mauvaises mères. Si les féministes font peser sur les femmes un tel poids supplémentaire, qui a besoin de misogynes? ».


Avec des alliées pareilles, les féministes n’ont pas besoin d'ennemis...

Edit : Suite aux accusations de lesbophobie, l'auteure de la BD sur le féminisme répond dans les commentaires . Elle explique être lesbienne elle-même, auteure de livres sur le sujet et admet sa "maladresse".

13 commentaires:

  1. Pour moi il n'y a pas de combat prioritaire entre tous même si j'ai une tendance à préférer que l'on s'occupe d'abord des "grosses choses" (femmes battues, situation des femmes à l'étranger comme au Népal par exemple, etc) que du "sexisme ordinaire" type : le fils du voisin veut une Barbie mais son père refuse parce que c'est un "jouet de fille". Mais on ne peut pas dire, d'après moi, "sauvons les Népalaises, les Françaises et les Afghanes attendront", ça doit être un tout.

    Le gros problème, que tu soulignes d'ailleurs, c'est que l'on n'accepte pas qu'il y ait une pluralité d'opinions autour du féminisme. Pourtant le féminisme est un mouvement idéologique, et comme tout mouvement idéologique, qu'il soit religieux, politique, ou autre, il y a différentes manières de penser. Par exemple au sein même des Chrétiens et sans parler des extrémistes il y a des croyants pour le mariage homosexuel et d'autre contre. C'est pareil dans le féminisme. Je pense qu'au final il y a quasiment autant de féminisme que de femmes. Y compris des extrêmes, parce que dans toutes les idéologies il y a des extrêmes.

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    1. J'aime bien ce parallèle avec la religion :
      - la foi = l'idéologie d'égalité homme/femme -> socle commun et unique
      - les commandements = les combats -> pluriels et sans hiérarchie
      - les rites = l'application (ou non), consciente (ou non) des stéréoptypes -> objets de clivage

      Je trouve ça assez "fascinant" que le fait de poser la question : "en quoi faire ou ne pas faire cela nous fait-il avancer vers l'égalité homme/femme ?" ne permette pas d'apaiser les esprits. En fait, je ne crois pas avoir jamais vraiment assisté (par billets / textes interposés ou Live) à un vrai débat d'idées entre féminstes sur un même sujet. Et en cela, le comparaison avec la politique est tout aussi juste. Sauf que, face à face, je pense que les questions liées au féminime permettent moins de "sophisme" et de "postures populistes" quoique...

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  2. Comme d'habitude, un article intéressant, nuancé, qui provoque le questionnement !

    Estelle
    lamodeestunjeu.fr

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  3. Merci pour cet article, ça fait du bien!

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  4. Intéressant ton article et merci à la relativité du commentaire de Melgane.

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  5. A moi aussi cet article a fait du bien, donc merci !
    Je me considère personnellement comme une apprentie féministe mais une féministe quand même. A ma petite échelle, certes, mais j'ai une sainte horreur de cette police inter-mouvement qui défend ses idéaux bec et ongles en crachant sur ses semblables. Ça me rend folle et je n'ai pas envie de m'excuser de croire en certaines choses, d'en défendre d'autres alors que nous nous battons toutes et tous pour la même chose.

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  6. j'ai décidé de ne plus jamais justifier mes choix et ma revendication de féministe, un privilège de l'âge sûrement à plus de 50 ans. Je resterai féministe jusqu'à l'égalité homme-femme et donc pou un moment encore...merci de ce billet nuancé comme doivent l'être pour moi es revendications féministes.

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  7. Merci pour ton analyse, assez proche de ce que je ressens finalement... en dehors peut-être d'un début de dégoût pour la "communauté" féministe. Pour moi, rien n'a encore réussi à ternir ce mot dans mon esprit... il y a des cons et des connes d’extrémistes partout, c'est bien ça le principe de l'égalité non ?^^

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  8. Tu as raison, allons-y doucement avec celles qui découvrent le féminisme ; montrons leur notre meilleur visage et prouvons leur que nous ne sommes pas de moches lesbiennes comme ça elles nous rejoindrons dans notre féminisme.

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    1. Cher courageux anonyme, je te conseille d'aller lire les explications de l'auteure de la BD dans les commentaires de son blog où elle explique qu'elle est elle-même lesbienne et auteure de livres sur le sujet : http://atelieraoutaparis.blogspot.fr/2014/07/le-feminisme-mais-pour-quoi-faire.html

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  9. mon 1er com' n'était pas passé donc j'y reviens! J'aime beaucoup ton article car tu déroules bien les contradictions et la complexité du sujet. Il y a des féminismes (je ne sais pas si c'est la bonne manière de le dire...). Je suis féministe dans le sens où je suis attachée à l'égalité des droits entre les femmes et les hommes, que j'exècre les stéréotypes et autres schémas de représentation genrés et que je m'exprime sur le sujet lorsque je considère que je dois dire ou expliquer quelque chose. Je vote systématiquement aux élections. Il ne me viendrait pas à l'idée qu'une personne soit inférieure du fait de son sexe, genre ou orientation sexuelle. Je ne milite dans aucune association. je ne considère pas qu'il y a UNE bonne manière d'être féministe. Et surtout, je ne donne pas le droit à quelques personnes de venir me dire comment je dois "être" en tant que féministe. Les dogmes de tous bords, je les fuis! Je ne considère pas que c'est un "combat" des femmes contre les hommes. Je crois profondément à la pédagogie et au dialogue (quand c'est possible).
    Sauf que quand je te lis, ainsi que d'autres articles et vu ce que je vois sur twitter, je me dis que du chemin reste à parcourir. J'aime ta manière diverse et personnelle, documentée aussi, de parler du sujet. Alors continue!! Tes positionnements sont une contribution indispensable au débat :-)

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  10. Je viens de lire ton billet suivant, du coup je reviens sur celui-ci : je le trouve très bien et très intéressant pour une féministe non militante comme moi (je ne milite pas mais je ne me tais pas non plus). Bon courage pour la suite.
    A.Z.

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  11. Personnellement, je ne me sens pas féministe, justement à cause de tous les débats passionnés que ce mot suscite. Je n'aime pas les injustices en revanche, qu'elles touchent les hommes ou les femmes. Donc si je vois une injustice qui touche les femmes, elle me révoltera. Et c'est aussi ce qui sembles ressortir de ton article.

    Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte qu'on lutte, ou a minima que l'on s'insurge contre certaines injustices, on ne devrait plus avoir des élans de douceur et d'affection envers les enfants, qu'il serait interdit de s'acheter un pull rose avec un bonbon dessiné dessus ou de faire de la broderie si ça détend. C'est franchement dommage et mesquin que l'on puisse t'attaquer ou en attaquer d'autres pour cela.

    Pas plus qu'il ne devrait être obligatoire d'être "au fait de l'actualité du féminisme". A chacune ses petits combats pour une égale considération de tous les êtres humains. Certaines boycotteront les feutres roses, d'autres aideront des femmes battus, d'autres encore feront bouger les lignes pour les hommes de la caste des intouchables. Il n'y a pas une seule façon d'être quand il s'agit d'apporter sa goutte d'eau à l'océan. La tienne en est une, elle ne nuit à personne et elle est respectable.

    En soi, ce combat pour l'appellation féministe me semble bien dérisoire au regard de ce que certains et certaines font pour défendre le droit des femmes à être elles-mêmes. Bon courage.

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