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dimanche 14 novembre 2021

Lettre à Lisa


 Chère Lisa,

Je prends la liberté de t'appeler par ton prénom alors que tout le monde ne te connait qu'en tant que "joggeuse", c'est ma façon à moi de te redonner une identité et un semblant d'humanité.

Ces derniers temps, les médias n'ont parlé que de toi, même s'ils n'avaient rien à dire, juste histoire de surfer sur l'indignation publique et alimenter la machine à clics. D'imprudente (quelle idée d'aller courir quand on est une femme) tu es passée sans transition à ennemi public numéro 1.

Tu dois payer pour ton mensonge. Tu mérites l'humiliation publique. Peu importe si on ne sait rien de toi, de ton histoire personnelle ou psychologique.

A peine la nouvelle de ton affabulation ébruitée, les chaînes d'information en continu se sont empressées de tendre le micro à tes voisins pour qu'ils rendent leur sentence irrévocable.. Il fallait bien nourrir la bête.

Moi-même, lorsque j'ai appris que ton histoire d'enlèvement avait été inventée, j'avoue t'en avoir voulu. Les femmes n'avaient pas besoin de ce genre de faux témoignages, surtout en ce moment. Et puis, mon cerveau a pris le pas sur mon émotion et j'ai réalisé : quoi qu'il en soit, les femmes ne sont pas crues. Quoi qu'il en soit elles ne sont jamais de bonnes victimes.

Dans le passé, une autre "joggeuse" en avait fait les frais, Alexia Daval (qui n'est d'ailleurs jamais partie courir). Très vite, les jugements et conseils aux femmes imprudentes  ont bruissé un peu partout suite à sa disparition.

Dans ton cas, il n'a fallu que quelques heures pour qu'un général de gendarmerie viennent expliquer aux femmes qu'il est imprudent de courir seule.Pourtant, comme l'explique Valérie Rey-Robert ce type de meurtre reste de l'ordre de l'exceptionnel : en dix ans il y a eu moins de dix femmes tuées par des inconnus alors qu’elles faisaient du jogging.

Je répète souvent que le foyer est le lieu de tous les dangers pour les femmes : c'est là qu'elles ont le plus de probabilités d'être tuées, bien plus que dans une forêt sombre ou dans un parking. Accuser les victimes plutôt que clouer au pilori les meurtriers c'est un grand classique, ça s'appelle le victim-blaming. 

C'est tellement fréquent que j'en ai fait un Tumblr intitulé "Les mots tuent". Tous ces articles (près de 400 à ce jour) relaient les mêmes rengaines sexistes.

Est- ce que la victime ne l'a pas un peu cherché? Est-ce qu'elle ne portait pas une tenue provocante ? Est ce qu'elle ne fait pas ça pour vendre son livre ? Est-ce qu'elle n'avait pas une personnalité écrasante ? Pourquoi elle n'est pas partie ? Pourquoi elle est partie ? Face tu perds, pile je gagne.

Heureusement, tu n'as pas été assassinée. Pour autant, certains semblent ne pas s'en réjouir et s'indignent que ton identité ne soit pas jetée en pâture au motif que tu as fait perdre leur temps aux équipes de gendarmes. On peut en effet le déplorer : pour autant, où sont ces indignés quand les auteurs de féminicides font tourner les forces de l'ordre en bourrique à force de mensonges et contradictions ? 

Dans l'affaire Daval, bien que les gendarmes aient rapidement porté leurs soupçons sur Jonathann Daval, ce n'est qu'au bout de trois mois d'investigations qu'ils se sont clairement orientés vers ce dernier grâce à un nouveau témoignage, fourni par un des voisins du couple. 3 mois. Un mensonge bien réfléchi  et minuté, puisqu'il avait même pris soin d'écrire le scénario des deux jours suivant la disparition d'Alexia Daval. Une antisèche rédigée une semaine après les faits et que les gendarmes retrouveront sur son ordinateur. Il avoue à la cinquième audition, le 30 janvier 2018. Mais il prétend que c'est un accident. Puis qu'il n'a pas brûlé le corps. Six mois plus tard, il se rétracte et accuse son beau-frère, Grégory Gay. Ici, pas d'indignation pour le temps perdu par les gendarmes. On préfère pointer les "crises d'hystérie" d'Alexia, sa personnalité écrasante.

Tu vois Lisa, même morte, une victime n'est jamais une bonne victime.

Dans ton cas, le mensonge a été très rapidement mis à nu, ce qui devrait rassurer ce qui craignent les faux témoignages de femmes. Ils sont très minoritaires, ne résistent pas à l'épreuve du temps et les accusatrices ont beaucoup plus à y perdre qu'à y gagner.

Je ne sais pas ce quels démons t'ont conduite à fuir et à mentir : sache que par ces quelques mots, sans doute vains, je t'assure de mon soutien pour les jours à venir.

J'espère que tu es bien entourée.

Le jour où on utilisera la même énergie et indignation pour vilipender les agresseurs, les violeurs et les assassins, je me dis que la culpabilité aura changé de camp.

La route est encore longue.

Prends bien soin de toi.


samedi 6 novembre 2021

Red flags : ces offres d’emploi qui font fuir les candidats (et spécialement les femmes)

 

Récemment, j’ai été interviewée au sujet des red flags en recherche d’emploi, ces petits drapeaux rouges que l’on repère lors des entretiens et dans les annonces et qui crient en nous « Fuyons ! » (vous pouvez me lire à ce sujet chez Maddyness et dans le numéro d’octobre de Néon magazine).

 

On a tous ses propres signaux d’alerte, en fonction de son âge, de son genre, de ses valeurs et de ses besoins.

 

Voici les miens :

- Le tutoiement : c’est sans doute une question de génération mais le tutoiement dans une annonce a le don de me faire hérisser le poil, je l’interprète vraiment comme une marque de fausse connivence. D’autant que sous ses dehors cools et sympathiques, le tutoiement n’en est pas moins le reflet d’un certain rapport de pouvoir. Maëlle Le Corre l’explique ainsi très bien dans son article « Recrutement : ce que cache le tutoiement » : « Tutoyer quelqu’un sans son assentiment revient en effet à l’inférioriser, à signifier l’absence de toute déférence à son égard. » souligne le sociologue Alex Alber dans son travail de recherches sur la pratique du tutoiement dans les rapports hiérarchiques en entreprise. Il s’appuie notamment sur l’enquête de l’ethnographe Denis Guigo pour montrer que la pratique du tutoiement en entreprise reste conditionnée par le genre (les hommes tutoient davantage que les femmes), l’âge (on tutoie plus facilement les personnes qu’on identifie comme étant de la même génération) et la position hiérarchique (on s’autorise plus à tutoyer quand on est soi-même élevé dans la hiérarchie) »

- Le nombre d’expressions en anglais par ligne : même si certains métiers l’exigent, le recours trop fréquent à l’anglais dans une annonce a le don de faire s’allumer mon radar à bullshit. Faites attention: à abuser de l’anglais, on tombe très vite dans le pipotron et on devient malgré soi un même sur Twitter:


 - Les expressions type hacker/ninja/rockstar/barbus : clairement, je n’imagine pas une femme quand je lis ces mots, ne vous étonnez donc pas de ne pas arriver à recruter de talents féminins si vous les utilisez dans une annonce

- Couteau suisse : souvent utilisée dans les petites structures, cette expression est un point d’attention. De la compta au community management, elle sous-entend que l’on va sans doute être amené.e à faire toutes sortes de tâches sans beaucoup de moyens à disposition

- On est une grande famille : le travail c’est avant tout un contrat dans lequel on cède sa force de travail contre rémunération alors que cette expression brouille les limites et introduit une part d’affectif qui n’a pas lieu d’être. L’amour inconditionnel que l’on porte à sa famille n’est pas transposable au monde de l’entreprise.

- Baby-foot et afterworks à gogo : arguments souvent utilisés pour contrebalancer une charge de travail excessive, ils trahissent également une grande porosité entre la vie pro et perso et peuvent incarner une « bro culture » où les femmes auront du mal à trouver leur place.

- Bonne résistance au stress, capacité à travailler sous pression, grande disponibilité demandée : autoroute directe vers le burn-out, ces expressions peuvent être également des repoussoirs pour les femmes qui ne souhaitent pas sacrifier leur vie de famille. D’après une étude Indeed 2019, les femmes priorisent davantage que les hommes les questions d’horaires (69% contre 59% pour les hommes).

- Les demandes exagérées : à l’image de cette annonce : questionnaire, vidéo, appel entretien culture, appel entretien technique, appel entretien final, 3 appels de référence. Et pourquoi pas un mars et le plan stratégique de l’entreprise à 5 ans ?


Bon, là c’est pas un red flag mais carrément le grand pavois !

Les mots utilisés dans les annonces sont loin d’être anodins et peuvent même constituer de véritables repoussoirs pour les femmes. Pour contrer cela, les recruteurs chez Slack utilisent une plateforme appelée Textio, capable de détecter les biais inconscients d’une offre d’emploi.

Car même avec la meilleure volonté du monde, on n’est pas à l’abri de stéréotypes de genre.

Ainsi, vendredi dernier, j’ai relayé cette annonce tweetée par Jade Le Maître :

Au programme du processus de recrutement : 4 entretiens avec des hommes puis comité d’accueil avec bière et partie de FIFA. On a vu plus inclusif ! 

Sans tomber dans ce genre d’annonce caricaturale, les stéréotypes de genre peuvent se nicher là où on ne les attend pas et dissuader indirectement les femmes de postuler. Cet article explique ainsi que Textio, l’entreprise américaine évoquée plus haut, a analysé plusieurs centaines de millions d’offres d’emploi . « Les résultats sont éloquents : si une annonce contient le verbe « diriger », alors les femmes postulent moins que les hommes. Changez ce verbe par « construire », et les profils seront bien différents ! Des chercheurs américains s’étaient déjà penchés sur le sujet en étudiant la portée des mots « leaders », « compétitifs », qui réfèrent plus volontiers à la gent masculine. Les femmes étant plus sensibles aux vocables tels que « relations interpersonnelles », « soutien » ».

Et puisqu’une image vaut mieux qu’un grand discours, je ne peux que vous inviter à vous pencher sur cette illustration de @PeemaMin avant de rédiger vos annonces !

 


 

 


dimanche 31 octobre 2021

Non, vous ne souffrez pas du syndrome de l’imposteur, vous travaillez juste avec des abrutis !

 

Le magazine « Society » titrait ce mois-ci « la grande illusion : comment le développement personnel leur a gâché la vie ». Même si le dossier pointait des éléments intéressants, je l’ai trouvé un peu manichéen, mélangeant allégrement gourous, escrocs et simples auteurs proposant à leurs lecteurs des outils ne faisant de mal à personne, à défaut de faire du bien à tout le monde.

Pour autant, le magazine a mis en lumière un point qui mérite notre attention : comment l’ultra-vulgarisation de concepts de développement personnel peut finalement être plus contre-productif qu’aidant. En responsabilisant les individus plutôt qu’en dénonçant des phénomènes systémiques, il rend chacun.e maître de son bonheur (ou de son malheur) sans jamais remettre en question les organisations ou les systèmes qui les entretiennent.

Je l’ai constaté fréquemment chez les femmes que j’accompagne. Presque toutes les personnes qui me sollicitent en ce moment évoquent lors de notre premier entretien le syndrome de l’imposteur dont elles pensent être victimes. Il est vrai que ce sujet a été fortement médiatisé ces temps-ci (j’ai même écrit un article à ce propos) mais comme tous les concepts passés à la moulinette de la vulgarisation, il peut être galvaudé et perdre son sens initial. Et faire briller les yeux de ceux qui surfent sur la récupération mercantile d’une énième tare féminine qu’il faudrait corriger : je ne compte plus les auteurs ou coachs en tout genre proposant leur méthode miracle pour définitivement mettre à la poubelle le syndrome de l’imposteur.

L’idée n’est pas ici d’enfermer les femmes dans un statut de victimes dont elles ne pourraient jamais en sortir. Presque toutes les personnes que j’accompagne dans le cadre de mes bilans de compétences confirment qu’elles en ressortent confiantes et avec une bien meilleure estime d’elles-mêmes qu’au début. Pour autant, il me paraît dangereux et malhonnête de leur faire croire que tout est en leur pouvoir.

Lorsque j’ interroge plus précisément ces femmes au sujet ce syndrome de l’imposteur dont elles disent être victimes, je perçois très clairement que ce manque de légitimité provient de leur entourage professionnel plutôt que d’un manque de confiance en elles qui serait typiquement féminin. Pour autant, leur premier réflexe est de s’incriminer, de chercher à travailler sur elles-mêmes plutôt que de reconnaitre que leur environnement professionnel peut être à l’origine de leur sentiment d’illégitimité.

Quand une femme me raconte qu’elle a le sentiment d’être une femme quota car elle est la seule au comité de direction parmi une armée d’hommes.

Quand une femme travaillant dans la tech me dit qu’en réunion elle doit fournir 2 fois plus d’informations techniques que ses homologues masculins pour être crédible vis-à-vis de ses collègues.

Quand une femme évoque un environnement toxique où s’enchainent blagues sexistes, dévalorisation et minimisation du travail fourni.

Tout ça n’est pas dans leur tête.

"Les femmes, les femmes de couleur, en particulier les femmes noires, ainsi que la communauté LGBTQ sont les plus exposées au syndrome de l’imposteur", a déclaré Brian Daniel Norton, psychothérapeute et coach exécutif à New York.

"Lorsque vous subissez une oppression systémique ou que l'on vous dit directement ou indirectement toute votre vie que vous ne méritez pas ou peu de succès et que vous commencez à réaliser des choses d'une manière qui va à l'encontre de ce récit bien établi dans l'esprit, le syndrome de l'imposteur apparaîtra".

Comme le résume Michelle Obama : «Les femmes se sont entendu dire pendant si longtemps qu’elles n’étaient pas à leur place dans une salle de classe, dans une salle de conférence, ou dans n’importe quel lieu où l’on prend de véritables décisions, que lorsque nous arrivons enfin à entrer dans la salle, nous avons toujours l’impression de ne pas mériter notre place à la table. Nous mettons en doute notre jugement, nos capacités, et les raisons qui nous ont conduites là où nous en sommes. Même quand nous sommes les plus expertes sur le sujet, cela peut toujours nous amener à rester discrètes et à ne pas aller au maximum de nos capacités ».

Arrêtons de croire que tout est dans la tête des femmes : c’est la société tout entière qui fait planer autour d’elles une présomption d’incompétence !

C’est prouvé, être une femme implique devoir se soumettre à des standards plus élevés :

- Les femmes scientifiques doivent produire 2,5 fois plus de recherches et de publications pour se voir attribuer les mêmes compétences que leurs homologues masculins

- Les musiciennes ont une probabilité d’avancer dans le processus de recrutement et / ou d’être embauchées plus importante quand l’audition se fait à l’aveugle : la probabilité d’être retenue au tour suivant estaccrue de 50 % et celle d’être recrutée de 30 %. Finalement, un quart de l’accroissement du taux de féminisation des orchestres américains constaté entre 1970 et 1996 serait dû à l’utilisation du paravent

- 57% des femmes et 34 % des hommes ont été témoins de remises en cause des compétences des femmes à des fonctions managériales, c’est-à-dire leurs capacités à « manager une équipe, diriger un service ou une entreprise ». 81% des femmes et 59 % des hommes interrogés dans cette enquête ont entendu des remarques désobligeantes comme « Je me demande comment elle est arrivée à ce niveau : elle a dû coucher ! » ou « Elle est pire qu’un homme ! » ou alors « Je ne vais tout de même pas faire ce qu’elle demande : c’est une femme ! ».

- Les recruteurs plus exigeants avec les femmes : pour une candidate, la compétence et le diplôme ou la connaissance des langues étrangères sont regardés de très près par les recruteurs, avant qu’ils ne s’intéressent à leur motivation. En revanche, pour embaucher un homme, c’est la motivation qui arrive en tête et les recruteurs se focalisent sur le courage, la volonté, l’engagement et l’envie que manifestent ces hommes

- Des études basées sur le monde de l’entreprise montrent qu’elles sont souvent appelées aux responsabilités dans des contextes de crise.

« On oppose à ces femmes qu'elles doivent s'engager un peu plus, s'imposer davantage, expliquait Jenn M. Jackson au site Watercooler. Mais on refuse de voir que, même une fois qu'elles s'imposent et s'engagent, ces femmes se retrouvent encore face à des murs, des individus ou des institutions qui oeuvrent activement pour leur exclusion de nombreux espaces publics. »

Les différences de comportement entre les hommes et les femmes sont une raison fréquemment invoquée pour justifier les inégalités dans le monde du travail.Une étude de l’Harvard Business Review tord le cou à cette idée reçue. Pendant quatre mois, les chercheu.r.seuse.s, ont passé au crible les données issues des échanges d’e-mails et des agendas des réunions de centaines de salariés à tous les niveaux hiérarchiques. Puis, 100 d’entre eux ont reçu des badges sociométriques leur permettant de suivre leurs comportements individuels.

A l’analyse des données, ils n’ont trouvé presque aucune différence perceptible dans les comportements des femmes et des hommes. Les femmes avaient le même nombre de contacts que les hommes, passaient autant de temps avec leurs supérieurs et, à poste égal, allouaient leur temps de la même manière. Il n’y avait pas de différence en ce qui concerne le temps passé en ligne, le travail effectif et les conversations en face-à-face. Lors des évaluations de performance, les femmes et les hommes obtenaient des résultats statistiquement identiques. Cela valait pour les femmes à tous les niveaux hiérarchiques. Pourtant, les femmes ne progressaient pas. Et les hommes, si.

Les chercheur.se.s sont donc arrivés à la conclusion suivante : « Notre analyse suggère que l’écart entre les taux de promotion des femmes et des hommes dans l’entreprise étudiée n’était pas dû à leur comportement mais à la façon dont ils étaient traités. Cela indique que les arguments destinés à faire évoluer le comportement des femmes – à les inciter à « s’imposer » davantage, par exemple – passent probablement à côté de la réalité : l’inégalité femme-homme relève de préjugés et non de différences comportementales. (…) Il est nécessaire que les entreprises considèrent l’inégalité femme-homme comme n’importe quel autre problème économique : à l’aide de données chiffrées.

En conclusion, ces femmes ne sont pas victimes du syndrome de l’imposteur, elles sont juste en minorité, dans un environnement qui leur fait sentir qu’elles ne sont pas à leur place.

Pour paraphraser cette citation que j’aime beaucoup : “Before you diagnose yourself with depression or low self-esteem, first make sure you are not, in fact, just surrounded by assholes” (Avant de vous diagnostiquer une dépression ou une faible estime de vous, assurez-vous d'abord que vous n'êtes pas en fait, juste entouré par des abrutis), je dirai donc en conclusion : avant de vous diagnostiquer un syndrome de l’imposteur, assurez-vous d’abord que vous ne travaillez pas avec des abrutis !


mardi 9 février 2021

Gadgétisation de la communication adressée aux femmes : et si on arrêtait de nous prendre pour des dindes?

 

La semaine dernière, j’ai été interviewée par une chercheuse au sujet de la communication autour des violences sexistes et sexuelles. J’ai évoqué la difficulté à trouver des campagnes efficaces car celles-ci se limitent souvent à mettre en scène des femmes en sang ou couvertes de bleus, excluant d’emblée la violence psychologique qui est pourtant la porte d’entrée des violences physiques. J’ai également précisé que ces campagnes ne s’adressaient généralement qu’aux femmes, à l’exemple du récent hashtag ministériel #Nerienlaisserpasser. Comme si les victimes étaient des passoires qui n’avaient pas su se défendre. Où sont les hommes qui tuent et qui violentent? Pourquoi ne les interpellent-on jamais dans ces dispositifs de communication ? Je rappelle qu’ils représentent pourtant 96% des personnes condamnées pour des faits de violences entre partenaires.

J’ai également évoqué lors de cette interview la gadgétisation de la communication dès lors que l’on choisit de s’adresser aux femmes. En 2013, je m’étais déjà insurgée contre l’opération sur Facebook consistant à afficher la couleur de son soutien-gorge pour « soutenir l’information sur le cancer du sein » : « Au début, on me demandait en message privé d’afficher en statut la couleur de mon soutien-gorge, ensuite le nom d’une sucrerie en fonction de mon statut marital, puis celui d’une boisson alcoolisée, l’endroit où je pose mon sac à main le soir, maintenant le nom d’une ville en fonction de ma date d’anniversaire ». En 2014, je dénonçais sur Slate la vaste récupération commerciale du cancer du sein : «Avec le Pinkwashing, le cancer du sein devient un produit comme un autre » et en 2016, je listais sur le blog les pires opérations commerciales liées à octobre rose, des chocolats en forme de seins au robot ménager rose bonbon, preuve que le phénomène est récurrent. 




Pourtant, l’abus de rose peut avoir les effets inverses à ceux escomptés: une étude publiée dans le «Journal of marketing Research» a ainsi montré que les publicités genrées contre le cancer du sein (ruban roses, visages de femmes) amoindrissaient la perception qu’avaient les femmes de leur propre vulnérabilité. Le Professeur Sweldens de l’INSEAD l’explique ainsi «Notre recherche montre que les communications sur le cancer du sein présentant de forts signaux sexués activent une réaction défensive “ça ne peut pas m’arriver” chez les femmes».

«Nos résultats vont à l’encontre des convictions répandues dans le secteur de la publicité, a indiqué le Professeur Tavassoli de la London Business School. Les campagnes sur le cancer du sein devraient éviter d’utiliser des signaux liés au genre tels que montrer une femme se couvrant les seins, car elles sont moins efficaces une fois placées dans des contextes médiatiques qui amènent les femmes à réfléchir à leur propre genre.»

Plus récemment, je suis tombée sur cette campagne lancée par myGP app (une application médicale utilisée par la National Health Service britannique) à l’occasion de la semaine du dépistage du cancer du col de l’utérus en janvier dernier. 



Le visuel met en scène 3 chats avec des niveaux de toison différents, de glabre à très touffue et demandait aux femmes de partager la photo d’un chat représentant….leur toison pubienne ! On cherche le rapport avec le cancer de l’utérus !

Une internaute très inspirée à détourné le visuel en le transformant en campagne de sensibilisation au dépistage du cancer des testicules. Les hommes étaient alors invités à partager une photo de poulet représentant aux mieux leurs bijoux de famille.


En espérant qu’un jour les campagnes de communication arrêtent de prendre les femmes pour des dindes…


mercredi 3 février 2021

Laissez-moi, j'suis dans ma zone (de confort)


Je croyais qu’on lui avait définitivement réglé son sort à la businesswoman à talons qui secouait ses cheveux en réunion, menait ses équipes d’une main de fer puis courait chez la nounou récupérer ses marmots, avant d’enchaîner avec la préparation d’un dîner digne de Topchef et d’accueillir son mari en nuisette. 

Je la pensais ringardisée, comme toutes ces vieilles pubs de L’Oréal fleurant bon l’injonction à être parfaite, tout le temps, partout, sans rien lâcher et avec le sourire en plus.

Mais cette pression de la perfection est ingénieuse : on la chasse par la porte et elle revient par la fenêtre. Sous des visages différents.

"Les Occidentaux n’ont pas besoin de payer une police pour forcer les femmes à obéir" écrivait Ftame Mernissi, "il leur suffit de faire circuler les images pour que les femmes s’esquintent à leur ressembler". .

La perfection c'est cette instagrameuse à l’intérieur parfait, entourée de ses bambins habillés comme des gravures de mode.

La perfection c'est cette prof de fitness, qui, tout juste accouchée, affiche des abdos parfaits et vous demande « What’s your excuse ? »

La perfection c'est cette journaliste qui fait défiler à son micro des femmes puissantes qui, au lieu d’être des inspiratrices, nous renvoient parfois à notre propre faiblesse et vacuité.

La perfection c'est cette coach qui nous incite à nous réveiller et à sortir de notre zone de confort.

Dans mon milieu professionnel, cette notion c’est un peu la tarte à la crème du développement personnel. Je ne compte plus les jours où je vois passer ce genre de schémas caricaturaux


.

En bilans de compétences, nombreuses sont les femmes que j’accompagne qui culpabilisent de ne pas suffisamment sortir de leur zone de confort sans parfois trop savoir ce qu’il y a derrière cette notion.

Comme l’explique très bien cet article, il faut faire la différence entre zone de confort et zone de routine. On peut être très bien dans sa zone de confort, surtout en ces temps incertains, sans avoir à se botter les fesses pour en sortir à tout prix ni être considérée comme une trouillarde ou une glandeuse.

Ce qui se cache derrière cette zone de confort c’est que nous serions tous maître de nos destins et qu’avec un peu de culot et d’énergie on pourrait tous devenir de futurs Steve Jobs. Ou que la prise de risque serait forcément la clé du bonheur et que le confort serait forcément de l’ennui.

 « What’s your excuse ? ».

Cette petite musique  de l’agilité et de la résilience (d’ailleurs on ne dit plus « J’ai déposé le bilan 3 fois » mais « Je suis un serial entrepreneur ») nous fait doucement glisser vers une responsabilisation individuelle du bonheur. Comme s’il était donné à tout le monde de tout plaquer pour aller élever des chèvres dans le Larzac (la reconversion comme clé du bonheur, encore un mythe qui a la peau dure).

Ces mots permettent aussi de faire mieux passer la violence du monde du travail où le télétravail imposé est vendu comme une façon de faire preuve d’agilité, où le burn-out devient une formidable occasion d’être résilient. Et où des carrières forcément morcelées seraient une incroyable occasion pour rebondir.

Ah la la la vie en rose

Il faut voir comme on nous parle

Comme on nous parle...

mardi 12 janvier 2021

Si à 5 ans t'es pas Greta Thunberg, t'as raté ta vie!

 

La semaine dernière, j’ai vu passer un tweet de Fille d’album mettant le doigt sur un questionnement que j’ai depuis la sortie de mon livre.

Elle pointait l’offre pléthorique de livres jeunesse censés inspirer les enfants, les amener à changer ou à prendre exemple sur d’autres illustres figures enfantines. Pour les plus grands, ces ouvrages s’apparentent même à du développement personnel.

Fille d’album décrit dans son thread les différentes catégories : en mode "toi aussi tu peux le faire"







Avec un bonus s'il y a Greta sur la couverture



Dans un registre approchant, on a les livres de développement personnel pour ado en mode girl power.



Même s’il faut se réjouir d’enfin trouver des ouvrages mettant en scène des role models féminins autre que des princesses passives, on peut aussi se demander si cette avalanche d’enfants exemplaires ne pourrait pas en définitive être contre-productive.

En gros, si à 5 ans t’es pas devenue Greta Thunberg, t’as raté ta vie.

Ces héros en culottes courtes glorifiés au fil des couvertures deviennent alors pour les enfants des statues du commandeur impressionnantes et culpabilisantes.

Comment fait-on si on n’a pas envie ou les capacités de changer le monde ? Est-ce vraiment aux enfants de porter cette responsabilité alors même qu’ils n’ont aucun pouvoir de décision ? Une injonction, même positive (« Ne change jamais ») ne reste-t-elle pas une injonction malgré tout ?

J’ai l’impression que cette course à la performance commence de plus en plus tôt.

Cette question s’était déjà imposée à moi lorsque j’ai écrit mon livre destiné aux 3-6 ans « Les filles et les garçons peuvent le faire aussi ». 


Dans une double page de la partie destinée aux filles, j’évoquais les choix professionnels : « Tu peux, quand tu seras grande, devenir maîtresse d’école car tu aimes beaucoup les enfants, docteure ou bien vétérinaire, tu ne sais pas vraiment. Pas grave, tu as le temps !

Mais tu peux aussi savoir déjà ce que tu veux, vraiment. Pompier, astronaute et même présidente ! Fille ou garçon, tout est possible, le monde t’attend ! ». 

J’avais envie d’offrir des role models variés aux petites filles sans pour autant leur mettre trop de pression. La phrase « Tu ne sais pas vraiment. Pas grave, tu as le temps » était justement là pour dire qu’on a aussi le droit de ne pas savoir.

Une mère m’a écrit peu de temps après la sortie du livre pour me dire que sa fille l’avait adoré. Elle me rapportait, amusée, ses propos : « Tu sais maman, moi je ne veux pas être présidente ou astronaute. Je veux juste rester tranquille à la maison, tout ça c’est trop fatigant ». Preuve que même avec la meilleure volonté du monde, la pression peut être tapie en embuscade.

L’idée n’est pas, bien sûr, de tirer à boulets rouges sur les role models car dans certains cas ils peuvent vraiment faire changer les mentalités, comme l’a démontré une étude américaine. Quand on a demandé à des enfants américains dans les années 70 de dessiner un ou une scientifique, seuls 28 des 4800 enfants participants ont dessiné des scientifiques femmes. Toutes ont été dessinées par des filles et elles représentent moins d’1% des élèves étudiés. Aujourd’hui, comme l’explique cet article « une nouvelle étude publiée dans Child Development et citée par Mashable montre que 28% des enfants dessinent désormais des scientifiques de sexe féminin. Il faut dire que depuis la fin des années 60, les femmes n’ont jamais obtenu autant de diplômes dans les domaines de la science et elles sont beaucoup plus représentées en tant que scientifiques dans la pop culture. ».

Une étude menée récemment par 2 chercheuses anglaises a néanmoins pointé les limites des roles models comme seuls outils de lutte contre les inégalités. « Une représentation accrue n'est pas en soi susceptible d'être efficace si cette représentation est négative » explique une des 2 chercheuses.

Tout d’abord, les filles qui ont été interrogées lors de cette étude étaient parfaitement conscientes des expériences négatives vécues par les femmes célèbres, notamment la misogynie en ligne dirigée contre les femmes politiques, les célébrités et les militantes, en particulier les femmes noires ou asiatiques. Elles ont également trouvé que les médias traditionnels représentaient les dirigeantes de manière humiliante et stéréotypée et jugeaient les femmes plus durement que leurs homologues masculins.

Enfin, les filles n’avaient qu’une expérience limitée de la prise de décision : la présentation de modèles éloignés via divers médias ne peut pas compenser cela. Pour la plupart des filles de l'étude, leurs responsabilité se limitaient à leur vie domestique. Si certaines matières scolaires ont donné l'occasion de pratiquer le débat et la prise de décision collaborative, dans l'ensemble, il était peu probable qu'elles aient un avant-goût du leadership.

Les chercheuses concluent : « Ces résultats sont troublants. Ils suggèrent que la participation aux représentations médiatiques des femmes aux yeux du public a un effet dissuasif sur les filles en raison des conditions de visibilité des femmes. Même lorsque ce n'est pas le cas, les modèles proposés sont probablement des femmes qui viennent de positions avantageuses, ce qui signifie que leurs expériences peuvent ne pas résonner avec de nombreuses filles. Enfin, les modèles éloignés ne peuvent pas compenser une infrastructure pour les jeunes très réduite, et de nombreuses écoles en difficulté ne sont pas non plus en mesure de compenser cela. Les filles de notre étude s'intéressaient aux processus de leadership, à différents modèles, et en particulier au leadership pour la justice sociale, mais elles manquaient d'occasions de développer de tels intérêts. »

Au-delà de cette question de la représentativité se pose celle du culte de la performance instillé dès le plus jeune âge.

Pour conclure, je citerai ces mots lumineux issus du dernier livre de Lola Lafon « Être fragile est devenu une insulte. Qu’adviendra-t-il des incertaines ? De celles et de ceux qui ne s’en sortent pas, ou laborieusement, sans gloire ? On finit par célébrer les mêmes valeurs que ce gouvernement que l’on conspue : la force, le pouvoir, vaincre, gagner ».