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mardi 22 mai 2018

Quand Ariel et les lessiviers lavent plus blanc les stéréotypes : réel engagement ou feminism-washing ?


Longtemps, la publicité a pris les pères pour des incompétents dans tout ce qui s’apparentait aux tâches ménagères et/ou de l’éducation des enfants. En 2013, j’avais d’ailleurs écrit un article à ce sujet "La pub prend-elle les pères pour des cons ?" dans lequel j’avais observé ce qu’on appelait le "conservatisme contrarié". En effet, alors que la publicité a bien pris en compte les changements de société (fini le schéma "femme au foyer/homme qui travaille"), elle peine à les appliquer. Pire, elle ne cesse de mettre en scène et de légitimer les résistances masculines à ces évolutions.

Mais les choses semblent progressivement changer comme le prouve cette nouvelle campagne de la marque de lessive Ariel intitulée "Partageons les tâches". 


On peut y voir un père, observant sa fille jouer et reproduire ce qu’elle voit au quotidien (à savoir une mère croulant sous le poids des tâches ménagères dont elle a l’entière responsabilité). Sensibilisé par cette expérience, il décide de prendre les choses en main, file dans la cuisine pour retirer le panier linge sale des mains de son épouse et lancer une machine. Pour couronner cet exploit hors du commun, il ne manque plus qu’"Hallelujah" en fond sonore et l’image de l’épouse en pleurs, à genoux pour remercier son mari si altruiste.

Lancer une machine est en effet un premier pas peu chronophage mais avant d’accrocher une médaille au cou de ces hommes courageux, il faut rappeler que la tâche du lavage comprend aussi celle de ramasser le linge, le trier, le plier, le ranger. Et qu’à ces actions fastidieuses se rajoutent celles de faire les courses, cuisiner, s’occuper des enfants et des adultes. Sans compter la charge mentale, "ce travail de gestion, d'organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectifs la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence."  

Même si l’intention d’Ariel est louable, il faut néanmoins préciser que 80% des tâches ménagères sont encore effectuées par les femmes.  Et qu’en onze ans, le temps moyen journalier consacré par les femmes au travail domestique a baissé de 22 minutes alors que celui des hommes a augmenté d’une minute explique l’Observatoire des inégalités. Au rythme actuel, il faudrait des décennies pour arriver à l’équilibre en termes de partage des tâches domestiques entre hommes et femmes au sein du couple. Lancer une machine est donc un premier pas vers l’égalité mais la route est encore longue (et semée de chaussettes orphelines).

D’autres marques avant Ariel ont tenté de faire changer les mentalités pour une meilleure participation des hommes à la lessive.

En 2004, LG électroménager créait la rupture avec sa publicité mettant en scène un Apollon torse nu et son accroche invitant au partage des tâches "Homme comprendre. linge sale.machine" "Un petit pas pour l’homme, un bond pour sa femme".


Problèmes : l’homme-objet, musclé et dénudé a remplacé la femme-objet. Et le ton utilisé pour s’adresser à cette cible façon homme de Neandertal n’est pas très valorisante.
 
En 2011, la marque Brandt se démarquait, quant à elle, avec cette publicité "Les vrais hommes font la lessive". 

 En 2012, j’épinglais ici la marque "Antoine" et sa première lessive pour hommes !

Pas question de laver son linge avec n’importe quoi quand on est un homme, un vrai ! La lessive Antoine est plus chère (11€ les 10 doses), dans un "élégant flacon en verre" et livrée à domicile ("très classe" précise le site).  Exit également les odeurs de gonzesses: "Antoine dit adieu aux odeurs "féminines" des lessives classiques", histoire de ne pas perdre sa virilité en chemin.
Plus récemment, la marque Persil jouait la carte de l’humour en misant sur le registre de la transmission mère/fils dans une publicité plutôt maline. "Comme disait ta grand-mère, il n’est jamais trop tôt pour faire ta propre lessive". 


Les lessiviers seraient-ils donc tous devenus féministes ? La réalité est bien plus pragmatique. Comme je l’expliquais récemment ici, Unilever a démontré que 40% des consommatrices ne s’identifiaient pas aux femmes représentées dans la publicité. A contrario, l’étude a révélé qu’une publicité sans stéréotype était 25% plus efficace. Sous l’impulsion d’Unilever, une vingtaine de grandes marques et agences se sont unies avec le soutien d’ONU Femmes, dans une "Unstereotype Alliance". Le but : combattre les stéréotypes dans l’industrie publicitaire. Facebook, Twitter et des marques comme Mattel, Mars, J&J, Procter et Gamble (à qui appartient Ariel, tiens tiens) font partie de cette initiative progressiste mais qui reste avant tout un puissant levier business. Sheryl Sandberg, COO de Facebook, l’a d’ailleurs rappelé lors de la cérémonie des Cannes Lions de manière très pragmatique : "les marques qui s’engagent en faveur de la réduction des inégalités de genre augmentent de 8 à 10% l’adhésion des utilisateurs de la plateforme. Elle l’affirme haut et fort : l’engagement pour des causes stimule le business".

Passer les stéréotypes à la machine (à laver) est donc également une belle aubaine financière pour toutes ces marques. L’histoire nous dira s’il ne s’agissait en réalité que de feminism-washing (à 30% sans essorage).

1 commentaire:


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