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mercredi 27 février 2019

Les maladies ont un genre (et cela met en danger les femmes)

Il y quelques temps, je m’interrogeais sur l’utilité du Dulcolax  « Spécial femme », rose forcément.

Dans ce cas précis, la composition du laxatif classique et celui du « spécial femme » sont identiques, seul l’emballage change. Une simple histoire de marketing donc.

Pourtant, alors que les stylos Bic « For Her » et autres produits genrés n’ont aucune forme d’utilité ou de raison d’être, les médicaments pour femmes, s’ils existaient, seraient loin d’être des gadgets. Testés et dosés différemment, ils permettraient même de mieux soigner les femmes et de diminuer les effets secondaires.


Raison N°1 : Les femmes sont sous-représentées dans les tests cliniques.


 
Avant de commercialiser un médicament, des essais cliniques sont systématiquement menés afin d’en évaluer les risques et les bénéfices. Hommes et femmes ne réagissent pas de la même manière aux médicaments, pour autant la parité est loin d’être respectée lors de ces essais. « Les femmes demeurent moins représentées que les hommes dans les tests cliniques», affirme le Dr Jean-Pierre Duffet, adjoint au directeur du Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS). «C'est le cas dans les essais effectués pour les maladies cardiovasculaires et dans certains types de cancers», explique le cardiologue. Ainsi, 60% des tests respectent la parité, mais les 40 autres pour cent de ceux-ci restent majoritairement entrepris sur des hommes nous apprend une enquête menée par le magazine Causette. Et c’est encore pire quand on s’intéresse aux chiffres de l’expérimentation animale. Deux chercheurs de l’université de Californie ont ainsi démontré que les expériences sur des rats sont réalisées cinq fois plus souvent avec des mâles qu’avec des femelles. Pour Antoinette Pechère-Bertschi, chercheuse à l’université de Genève 2 interrogée par Causette, l’explication est simple : les femmes, autant que les rates, « constituent un groupe inhomogène, fastidieux à étudier, avec de nombreux facteurs confondants ». A cause, notamment, des cycles hormonaux et des éventuelles interactions avec des contraceptifs oraux. Les conséquences sont lourdes : «On tire des conclusions d'études faites sur des hommes blancs d'une quarantaine d'années et on administre des traitements à des femmes, dont les spécificités physiologiques sont différentes déplore Franck Barbier, responsable santé de l'association AIDES. « Selon le poids, l'âge, le métabolisme, les effets d'un médicament ne sont pas les mêmes et nous continuons à nous battre pour que des études ciblées soient faites».

Raison N°2 : Les femmes sont moins bien soignées

Les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de décès chez les femmes avant le cancer. Pourtant, cette information est peu connue et la plupart des études cliniques ne demeurent réalisées qu’avec des sujets masculins.

Par ailleurs, les symptômes diffèrent selon les sexes, ce qui rend le diagnostic féminin moins facile: les hommes souffrent de douleurs thoraciques, de poids dans la poitrine alors que l’infarctus se manifeste chez les femmes  par une grande fatigue, une sensation d’abattement. Une étude menée par la Mc Gill University Health Center de Montréal a d’ailleurs démontré récemment que les femmes étaient moins bien prises en charge que les hommes à l’hôpital : les patientes étudiées ont ainsi reçu moins rapidement électrocardiogrammes et défibrillations que les hommes. Pour le Dr Louise Pilote, chercheuse, « ces résultats suggèrent que le personnel affecté au triage est plus porté à écarter l'origine cardiaque du malaise chez les femmes qui présentent des symptômes d'anxiété ». Pire encore, les hommes et les femmes qui présentaient des traits généralement associés au caractère féminin (douceur, gentillesse) de même que les personnes affirmant être la personne responsable des travaux domestiques à la maison étaient moins susceptibles d’avoir accès à des procédures invasives, telle que l’angioplastie. « Est-ce que les cardiologues considèrent cette intervention comme plus virile, puisqu’il s’agit d’un acte de plomberie consistant à déboucher ou dilater une coronaire ? » s’interroge le Dr Luc Perrino sur son blog. « Malgré de nombreux a priori médicaux, désormais combattus, la compréhension de certaines maladies ne pourra échapper au critère du genre. Il est important d’affirmer et d’affiner notre connaissance de ces différences, afin de mieux lutter contre les inégalités. » conclut-il.


Raison N°3 : les femmes ne réagissent pas de la même manière aux médicaments

Des particularités physiologiques liées à chaque sexe peuvent expliquer cette différence de réactions face au traitement. Le Dr Manfred Lutz, interrogé lors d’un un passionnant documentaire diffusé sur Arte « Les maladies ont-elles un sexe », mentionne à cette occasion les différences de métabolisme entre hommes et femmes. A titre d’exemple, celles-ci absorberaient l’alcool plus rapidement que leurs homologues masculins, à poids et tailles équivalents. 2 raisons peuvent expliquer ce constat : l'enzyme responsable du métabolisme de l'alcool n'est pas aussi active que chez l'homme. Par ailleurs, l'alcool se répand plus facilement dans les muscles que dans la masse adipeuse ; celle-ci étant plus importante chez la femme, la concentration d'alcool sera plus grande dans l'organisme. Le Dr Ivan Berlin mentionne, quant à lui, d’autres facteurs susceptibles d’expliquer la variabilité des médicaments selon les sexes : la taille des organes, le volume de distribution (plus petit chez la femme), le transit gastro-intestinal, plus rapide chez la femme que l’homme (et pouvant donc limiter l’efficacité d’un traitement par voie orale) ainsi que le milieu hormonal. Il explique également que les effets indésirables sont plus fréquents de 60% chez les femmes que chez les hommes.

Et si ce que l’on avait longtemps pris pour une sensibilité typiquement féminine n’était finalement que la résultante de tests cliniques non représentatifs ?

La question est pourtant loin d’être anodine, les effets secondaires de médicaments seraient responsables d'au moins 18.000 décès par an d’après le Dr Bernard Bégaud de l’Inserm.

Récemment, Caroline Criado Perez, auteure  de Invisible Women, Exposing Data Bias in a World Designed for Men est revenue sur le sujet dans un article du Guardian, repris par « Le Point » : « Le monde est mal fichu pour les femmes, depuis les téléphones portables gigantesques, conçus, là encore, pour se nicher dans la main de notre « homme-référence » jusqu'aux dispositifs de sécurité des voitures, testés avec des mannequins construits selon les mensurations du même individu « moyen » de 70 kg (…) Conséquence : si les femmes ont moins d'accidents de voiture que les hommes, elles ont 47 % plus de risques d'être gravement blessées si cela leur arrive, et 17 % plus de risques d'y laisser leur vie.»


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