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lundi 29 janvier 2018

#Balancetonforum : les 6 erreurs de comm’ d'un des + gros bad buzz de 2017




En novembre dernier, j’ai lancé sur Twitter le hashtag #Balancetonforum, sans vraiment réaliser l’ampleur qu’aurait par la suite cette campagne. Après des années d’inertie face au cyber-harcèlement des femmes sur jeuxvideo.com, il me paraissait urgent de faire réagir Webedia, propriétaire de jeuxvideo.com.

 La méthode : taper au portefeuille du groupe en interpellant ses annonceurs, comme cela avait été fait avec succès pour l’émission « Touche pas à mon poste ». 3 jours après avoir été en trending topic sur Twitter, l’opération a porté ses fruits puisque 8 annonceurs ont retiré leur publicité du site. Et contraint Webedia à s’expliquer et à trouver des solutions.

 Aujourd’hui, le succès de la campagne se confirme par cet article du magazine Stratégies qui reprend l’étude menée par Nicolas Vanderbiest en collaboration avec Visibrain : #balancetonforum et le laxisme de Webedia face au cyber-harcèlement figurent en 4ème position dans le top 5 des plus graves crises de 2017.
 Un bad buzz qui nous en apprend beaucoup sur les erreurs de communication auxquelles sont souvent confrontées les marques en pleine crise.

 Erreur N°1 : communiquer tardivement, réagir plutôt qu’agir
 Le harcèlement des femmes sur le site jeuxvideo.com est loin d’être une nouveauté puisque que « depuis 2013 des militantes féministes, des victimes et des médias alertent sur la culture haineuse du 18-25. En vain » nous apprend cet article de Buzzfeed. Les propos racistes, antisémites, sexistes, homophobes, transphobes émaillent ainsi régulièrement le forum depuis des années sans susciter de réactions franches de la part de Webedia. Jules Darmanin, le journaliste en charge de cet article, explique que « Cédric Page (responsable entre autres du site) n'a cependant pas répondu à notre demande d'interview, ni aux 5 autres entre janvier et novembre 2017. ». Lorsque ce dernier s’exprime, ces propos sont extrêmement tièdes par rapport à la violences des attaques subies par les victimes : en 2015 il parle ainsi de « laisser une grande liberté aux utilisateurs » et d’ « autogestion ». Suite au communiqué de presse d’Elliot Lepers dénonçant une cyber-attaque de grande ampleur, Cédric Page prend enfin la parole pour condamner les agissements de certains membres du forum...tout en les excusant : ces méfaits ne seraient que « l’expression de la jeunesse ». Un communiqué de presse suivra pour condamner les attaques et évoquera un « effort particulier de modération » sans plus de détails. Il faudra une nouvelle crise, à savoir le lancement de #balancetonforum et le retrait de plusieurs annonceurs pour que Webedia s’exprime de nouveau à travers la voix de Véronique Morali pour annoncer, non pas une feuille de route précise mais l’association du groupe à la plainte de Nadia Daam.

Erreur N°2 : manquer d’empathie à l’égard des victimes
Alors que le cyber-harcèlement dure depuis des années, jamais Webedia n’a émis un signe à l’égard des victimes, pas plus qu'il n'a formulé officiellement d'excuses. Cet article de LCI le confirme « Les trois victimes de cyberharcèlement que nous avons contactées, pourtant, sont formelles : malgré leurs nombreuses interpellations des modérateurs de jeuxvideo.com, elles disent n’avoir jamais reçu de prise de position officielle. "Il est vrai que certains topics (sujets de discussion, ndlr) sont supprimés" précise Eve. "Mais beaucoup restent en ligne… et leurs insultes avec.". Pire encore, ce tweet de Cédric Page adressé à Caroline de Haas alors même que cette dernière avait été victime de menaces de viol émanant de membres du forum. Pour l’empathie, on repassera.


Erreur N°3 : mal choisir son/sa porte-parole
Jusqu’au lancement de #balancetonforum, seul Cédric Page prenait la parole publiquement (toujours sous la pression des événements  on l’a vu précédemment). Après le retrait des annonceurs, c’est désormais Véronique Morali, présidente du directoire de Webedia, qui a été choisie visiblement précipitamment pour s’exprimer dans les médias et via un communiqué de presse. A la lecture de celui-ci, on comprend très vite pourquoi : « En tant que fondatrice de l’Association Force Femmes, co-fondatrice du Women Corporate Directors Paris, fondatrice du site Terrafemina, et par le passé présidente et co-fondatrice du Women’s Forum, j’ai consacré ma carrière à la lutte pour la représentation des femmes dans la société et dans le monde professionnel ». On peut se demander où était passée cette farouche défenseure des droits des femmes durant toutes ces années de cyber-harcèlement…Vous avez dit « femme-alibi » ?

C’est également elle qui fera le tour des plateaux les jours qui ont suivi #balancetonforum pour affirmer qu’il fallait « donner sa chance à la liberté d’expression » ou que la publicité n’existait pas sur le forum jeuxvidéo.com (argument vite démonté par la rubrique « Désintox » de Libération). D’où l’importance de choisir bien en amont la personne qui sera amenée à s’exprimer dans les médias en cas de crise.

Erreur 4 : mépriser ses détracteurs
Alors même que le lancement de #balancetonforum aurait pu être le début d’une discussion entre militant.e.s et Webedia, le groupe n’a pas donné suite à nos sollicitations de rencontre initiées sur Twitter. Pire encore, les mots du communiqué de presse à l’égard des internautes mobilisés (des ignorant ou des malveillants) sont empreints d’un profond mépris : « Je ne peux accepter les amalgames qui sont faits aujourd’hui par certains observateurs, qui, par ignorance ou malveillance, portent atteinte à la dignité et aux valeurs qui sont les miennes et celles de Webedia ». Dans le communiqué de presse, 6 lignes condamnent le cyber-harcèlement et annoncent le doublement de la modération tandis que 7 lignes dénoncent la création et l’utilisation du hashtag #balancetonforum : « Le Groupe dénonce les hashtags apparus en cette fin de semaine à l’initiative de certains internautes sur Twitter, qui interpellent les annonceurs du site jeuxvideo.com, ainsi que la pression exercée par certains pour obtenir une réaction de leur part. Ces messages, dénigrant pour certains, diffamatoires et injurieux pour d’autres, créent une confusion inacceptable et impliquent injustement les valeurs du Groupe. ». Pourtant, une communication efficace et moins agressive de la part de Webedia aurait permis des échanges fructueux entre les 2 parties. N'oublions pas que les détracteurs d'hier peuvent devenir les ambassadeurs de demain. A condition de les traiter sans mépris ou condescendance.

Erreur N°5 : Ne pas être transparent au sujet de ses actions
« Je n’avais jamais vu l’administration à ce point secouée et réactive à une affaire. Il était temps, à vrai dire. » confiait un des modérateurs bénévoles du forum au site du Monde. Pourtant, les mesures semblent avoir été prises dans la précipitation et sans feuille de route, dans la réaction plutôt que dans la réflexion. Blocages de mots-clés puis rétropédalage, embauche de CDD…jusqu’à la fin 2017 : ces mesures ont vraisemblablement été efficaces dans l’instant mais ne présagent en rien du futur. Sans feuille de route précise, sans engagement lisibles et visibles, échelonnés dans la durée, rien ne garantit à Webedia qu’ils pourront échapper à une nouvelle crise. Et pas question de compter sur le compte Twitter de Véronique Morali, verrouillé, ou sur celui de Webedia pour en savoir plus sur les suites de leurs actions. Le compte du groupe s’est uniquement contenté de tweeter le communiqué de presse en novembre dernier sans autre commentaire. Service minimum, transparence zéro.

Erreur N°6 : Ne pas avoir senti l’air du temps
La libération de la parole des femmes est omniprésente. Celles-ci sont enfin entendues et considérées. Les hashtags #metoo et #Balancetonporc ont eu des répercussions planétaires. Comment, dans ce contexte, expliquer le manque de réaction d’un groupe de la taille de Webedia ? Comment justifier son manque d’empathie envers les victimes, sa condamnation tardive des agissements de certains membres du forum ? Comment peut-on affirmer être au plus près de la jeunesse tout en ne pressentant pas les changements à l’œuvre, en ne sachant pas capter l’air du temps ?

L’étude de Nicolas Vanderbiest nous apprend, entre autres enseignements, que 23% des bad buzz de 2017 ont éclaté pour des motifs de défense contre le sexisme. Une cause que les communicants ne pourront définitivement plus ignorer en 2018.