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lundi 17 décembre 2012

Jeu d'écriture - Angles de vue


Voici un petit jeu d'écriture que j'ai proposé aux anciens élèves de mon cours au CFPJ.

Le principe : raconter une même scène de fiction, vue par 3 personnages différents.

Voici mon récit, n'hésitez pas à participer dans les commentaires!


Brigitte
Plonger, essorer, laver, frotter, recommencer. Mes mains fripées par l’eau chaude, mes genoux rougis par le carrelage froid, je ne les sens plus, toute entière à ma tâche. D’abord laver le sol, briquer le plan de travail, puis sortir et lustrer l’argenterie. Il y a toujours quelque chose à faire dans une cuisine. Cette frénésie d’action m’empêche de penser. Quand je récure, mon esprit arrête ses cogitations sans fin, j’habite enfin ce corps qui n’intéresse plus personne. Toute cette énergie en moi, cette envie d’être serrée, embrassée, touchée je la dépense ainsi, les mains dans mon seau, le balai contre mon coeur.  Une fois le ménage terminé, je suis courbaturée, j’ai le dos rompu, les membres lourds. Je me sens enfin en vie. Pour beaucoup, ça n’est qu’une corvée rédhibitoire, pour moi c’est un plaisir coupable. Comme un amant impatient qui ne m’a jamais déçue, le ménage me presse plusieurs fois par jour en susurrant à mon oreille « Viens me retrouver ».  J’abandonne alors mari, ami et loisirs pour retrouver l’odeur musquée de l’encaustique et ces mouvements répétitifs qui me bercent et m’emmènent loin d’ici.
Plonger, essorer, laver, frotter, recommencer.
L’eau dans mon seau est toute grisâtre, c’est fou comme une maison peut se salir rapidement.


Gilbert
Je n’ai pas encore franchi le seuil de la cuisine que je t’imagine déjà, agenouillée sur le carrelage, passant et repassant ta serpillère humide. J’entends d’ici tes bruits aquatiques, splitch splatch splotch, ton râle, le tintement de l’anse métallique de ton seau et je comprends que rien ni personne ne pourra te déranger. Ma Brigitte. Quand je t’observe ainsi toute à ta tâche, je ne peux m’empêcher de revoir la frêle jeune fille de 20 ans, légère et pétillante, queue de cheval au vent, filant sur son scooter. Que s’est-il passé en 40 ans? Qu’avons-nous fait pour nous perdre de la sorte ? A quel moment le fil s’est-il rompu ? Je voulais te proposer d’aller au cinéma mais je sais d’avance que tu refuseras : il fait trop froid, tu as ton ménage à terminer, tu es fatiguée. Alors je me contente de t’observer ainsi, à la dérobée, caché derrière le cadre de la porte. Vers quoi vont tes pensées quand tu plonges ta serpillère ainsi dans l’eau fumante, quand tu la fais aller et venir sur ce sol déjà rutilant ? Je détaille ta croupe, de dos, tes bras moelleux, ton chignon flou. Puisque tu as décidé depuis quelques années de faire chambre à part, c’est tout ce qu’il me reste. Te regarder. J’ai envie de tout envoyer valdinguer, renverser ce seau, jeter la serpillère par la fenêtre. Mais ton visage ravi et serein devant ce sol immaculé m’en empêche. Je ne peux pas lutter. Je m’esquive sans bruit.

Fanny
C’est une bonne idée ce déjeuner surprise chez mes parents. Les prévenir ? A quoi bon ? De toutes façons, qu’ont-ils d’autre à faire ? A peine la porte poussée, je tombe sur toi maman. Pour changer, tu es encore à 4 pattes, penchée sur ton maudit seau, ton sourire extatique aux lèvres. J’étouffe. J’aimerais tellement être aux antipodes de toi, maman, d’ailleurs j’y travaille avec application. Toujours entre 2 avions, je m’enivre aux jetlags, je m’oublie dans des chambres d’hôtel anonymes et dans des bras inconnus. Je change de travail et de ville tous les 6 mois, d’amis aussi. La seule chose immuable dans ma vie c’est toi et papa. Et ta façon obsessionnelle d’astiquer ta fichue cuisine. Et vas-y que j’essore ma serpillère, que je la passe et la repasse. Moi le seul ménage que j’arrive à faire c’est dans ma vie. J’ai un talent certain pour les histoires passagères et les amitiés d’un soir. J’appréhende déjà notre déjeuner, une fois que tu auras sorti la tête de ton seau. Non je n’ai toujours pas trouvé l’homme de ma vie. Oui ta jardinière est très bonne. Puis ce silence, lourd et éloquent.
En arrière-plan, j’aperçois la silhouette de papa qui s’esquive discrètement. Je crois que je vais en faire autant. A bientôt maman.

9 commentaires:

  1. Samuel:

    Je suis très déçu de ton comportement Optimus. Le grand robot-camion avait perdu un bras en combattant le Robot-Ninjago piloté par Kaï ZX. Heureusement que j'ai ma dépanneuse Martin personnelle qui va pouvoir me porter assistance.
    Je l'appelle... Il ne vient pas. J'insiste, il m'indique qu'il est à la vidange en train de consulter les plans... On ne peut plus faire confiance dans le petit personnel... J'appelle donc la dépanneuse en chef... Pas de réponse... J'insiste, agacé... toujours rien... J'insiste en râlant qu'elle n'a rien de mieux à faire... et me voilà punit de deux semaines sans pouvoir admirer la porte des étoiles aux grandes oreilles rondes... Je pleure... Je regrette... sans succès.

    Papa:

    Enfin un peu de tranquillité aux toilettes pour jouer à Subway Surfer et éclater mon score... Ah ben ! Cela n'aura pas durer longtemps la tranquillité... feignons de ne pas avoir entendu... Ohlala mais il insiste le bougre... Indiquons-lui que je suis occupé aux toilettes... et merde, mon personnage vient de s'écraser contre un train... Fils de son père !

    Maman:

    Lalala laaaa, un peu plus de piment d'espelette pour relever ce poulet. Ils vont se régaler, je suis bien contente. Qui m'appelle ? attendons pour voir, pendant ce temps je vais laver cette salade... Mince l'eau couvre le son de sa voix..
    Attendons s'il veut bien répeter.... COMMENT CA JE N'AI QUE CELA A FAIRE ?? Le petit TABARNAK, il va voir ce qu'il va voir... ou plutôt non il ne vas plus voir, privé de télé toute la journée.. Oh ça va hein si tu crois que pleurer va changer quoique ce soit... **sniff**

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    1. Merci pour ce texte qui sent le vécu!!honte à toi!:-)

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    2. pourquoi ? c'est peut-être moi le petit "Samuel" ...
      En fait je crois avoir vécu le rôle de chacun des protagonistes en gros...

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    3. pourquoi ? c'est peut-être moi le petit "Samuel" ...
      En fait je crois avoir vécu le rôle de chacun des protagonistes en gros...

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  2. Si un jour tu écris un livre, j'en achèterai le premier édité!

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  3. Ca c'est drôlement gentil Daphna! Tu as encore le temps, si j'en juge par ma productivité !;-)

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  4. La dame âgée
    C’est une dame d’un certain âge, pas vieille, non. Plus tout jeune non plus. Chaque jour à la même heure, en milieu d’après midi, elle promène son chien. Cela lui fait plaisir cette balade. L’air frais la revigore après ces longues heures passées confinée chez elle, dans cette grande maison vide. De temps à autre, elle croise la jeune femme qui habite au bout de la rue. Toujours pressée, souvent chargée de courses, de paquets, de sacs. Toujours le sourire, aussi, quand elles se croisent. Toujours une attention pour son chien, une gentille petite ! L’autre jour, elles se sont saluées. Ca lui a fait un plaisir fou de parler à quelqu’un d’autre qu’à son chien. Cette jeune femme avec son air timide et décidé à la fois et sa vie que la vieille dame imagine remplie et trépidante, elle l’envie un peu. Elle se dit qu’à son âge elle avait déjà le nez dans les couches et trois enfants à ses basques. A son époque, on n’était pas aussi indépendant que maintenant. A vingt ans vous étiez mariée et dès que les enfants arrivaient vous deviez arrêter de travailler pour les garder. Ah, ses enfants ! Elle aimerait bien qu’ils viennent la voir plus souvent, mais ils ont toujours mieux à faire ….
    La jeune femme
    Courir encore et toujours du travail à la maison, de la maison au sport, du sport au lit pour se relever le lendemain et recommencer. Son coquet deux pièces gagnerait à être rangé et récuré plus souvent. Heureusement que sa mère ne passe pas trop souvent, elle se ferait tirer les oreilles ! Elle rentrant chez elle au pas de courses, la jeune femme croise de temps à autres une vieille dame. Celle qui habite cette belle maison avec le grand jardin ombragé. Toujours accompagnée de son petit chien blanc. Une dame minuscule, toute dodue, aux cheveux blanc immaculé, toujours souriante. L’archétype de la parfaire grand-mère si elle n’arborait pas en permanence un jean trop grand et une chemise à carreaux. Elle l’aime bien cette vieille dame à l’air gentil. Son petit chien aussi qui remue la queue chaque fois qu’elle les croise. La semaine dernière la vieille dame l’a salué. Ça lui a fait plaisir ce contact. Elle qui ne trouve pas toujours très bien ses repères dans cette métropole tentaculaire que devient Paris. En bientôt trois ans qu’elle habite là, elle a du parler 5 fois à ses voisins de palier. Alors cette vieille dame qui l’a salué comme si elles se connaissaient depuis toujours ça lui a fait chaud au cœur. Elle s’est sentie moins anonyme.
    Le petit chien blanc
    Hector est un petit chien blanc à la queue touffue, il aime se promener hors de la maison. Chaque jour sa maitresse le sors pour une longue balade dans l’après midi. De leur pas mesuré, ils parcourent le quartier, cheminant doucement. Lui aussi il commence à sentir l’âge avancer. Ses articulations lui font mal et il ne gambade plus comme avant. De temps à autres, ils croisent une jeune femme brune. Hector l’aime bien, elle est très grande et elle sent bon. Et puis elle ramène souvent à manger quand ils la croisent. Il jetterait bien un œil dans son panier mais, bien qu’elle lui sourit à chaque fois, elle ne s’arrête jamais. Pas moyen de fourrer son museau dans son cabas pour lui soutirer un petit quelque chose.

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  5. Merci Marie pour ce texte très touchant et merci d'avoir donné la parole, pour une fois, à un chien! :-)

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  6. Il me fallait un troisième protagoniste, le chien témoin muet de la rencontre me paraissait tout indiqué :)

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