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vendredi 10 février 2012

Rencontre du 3ème type à Pole Emploi

Mardi dernier, après un énième rebondissement dans l’affaire Pole Emploi (ils ont perdu mes papiers remis en main propre et envoyés en recommandé), je décidais d’aller régler le problème de visu.

Je m’étais dit (préjugé à la con) qu’avec le froid polaire, il y aurait sans doute moins de monde dans mon agence.

Je crois finalement que même à -20°, il y aura toujours des gens pour faire la queue au guichet « relation clients » : la preuve, en arrivant il y avait déjà 10 personnes devant moi (et une vingtaine à l’accueil).

Je m’apprêtais à me plonger la tête dans mon Iphone quand une voix derrière moi m’a demandé « Bonjour, vous êtes là depuis longtemps ? » « Euh non je viens d’arriver ».

Petit examen rapide de mon interlocuteur : plutôt bonne mine, très souriant, sac à dos, il ne ressemble pas à la cohorte de fantômes qui m’entourent (et dont je fais partie). Le demandeur d’emploi qui fait la queue au service clients est généralement gris et courbé sous le poids d’une pochette volumineuse. Car les papiers c’est tout ce qu’il nous reste quand tout fout le camp : ces vestiges d’une vie passée où l’on avait un salaire et une existence professionnelle on s’y accroche comme à une bouée. Je n’ai jamais fait autant de photocopies de ma vie depuis que je suis demandeuse d’emploi: j’ai certaines fiches de paye en 4 exemplaires, patiemment engrangées dans ma pochette à tête de mort, spécialement réservée à Pole Emploi.

Et puis, plus le dossier est lourd, plus on se dit que sa vie est consistante. Sa pochette, on ne la traîne pas comme un boulet mais comme un trophée. On est un peu bête quand on est demandeur d’emploi.

Mon interlocuteur, lui, a juste un sac à dos, ce qui lui donne un maintien différent : il a la tête haute, parle avec les mains. Il est même sacrément drôle, parle fort et sans complexe « La vache, on se croirait dans une bande dessinée d’Asterix ici ». On ne se connaît pas mais on s’aime déjà, il y a comme ça des rencontres improbables qui ne s’expliquent pas. En voyant sortir un conseiller hirsute, d’un des bureaux il me dit très fort « Ah je le connais celui-là, il était dans l’ancienne agence. Il est toujours ébouriffé comme s’il était débordé et il te fait comprendre qu’il n’a que peu de temps à te consacrer. Ils ont changé les locaux mais pas les gens ». En effet, mon agence est l’une des plus grosses de Paris : y sont « gérés » 18 000 dossiers (à ce niveau c’est en effet des dossiers que l’on gère, pas de l’humain). Elle a été nouvellement créée et ressemble à un énorme paquebot dont les ¾ des bureaux sont vides, fautes de moyens humains. Et nous, nous ressemblons à des naufragés du Concordia, dis-je à mon nouvel ami, qui cherchons le canot de sauvetage pendant que le capitaine s’est fait la malle ! Je lui ai dit que lors de ma dernière visite, des gens en étaient presque venus aux mains et que j’ai dû moi-même faire la police. Il me dit, pince sans rire, qu’après les combats de coqs, on pourrait organiser des combats de chômeurs.

Pile à ce moment là, nous sommes interrompus par des éclats de voix : un « client » s’adresse à la conseillère à l’accueil en hurlant « non je ne suis pas n’importe qui, je suis quelqu’un, vous ne me parlez pas comme ça ». Les gens de la queue ne se retournent même pas, les incidents de ce genre sont monnaie courante. Ils vont néanmoins réagir quand une femme, la cinquantaine, attaché case en cuir et brushing, va sa planter devant la file sans faire la queue. « Il faut attendre votre tour Madame » « Je viens juste demander un renseignement » « On est tous là pour un renseignement » « oui mais moi je suis EMPLOYEUR » (en insistant sur le mot employeur). Immédiatement après ce mot magique, une conseillère va venir la chercher pour la mener à un autre guichet. On ne mélange pas les torchons et les serviettes.

« Et toi, tu fais quoi dans la vie » me demande mon interlocuteur, me sortant de mes pensées. Je lui raconte en 5 secondes, j’ai le droit à la sempiternelle question « mais pourquoi t’es partie ? ». « Parce que ça n’était plus possible ».

« Ah oui je comprends. Moi aussi c’est pas toujours facile. Imagine toi, je travaille dans l’entretien pour des handicapés, je fais le ménage quoi. Et bien je gagne 3 ,35€ de l’heure. Pas toujours facile de se lever pour travailler dans des conditions comme ça, je gagnerais plus en touchant des aides. Surtout que les ménages, t’as pas d’horaires, tu bouches les trous. L’autre jour, on m’a fait rentrer chez moi et on m’a rappelé une heure après car une personne était malade. Tout ça pour tomber sur un dingue qui s’est amusé à mettre ses mains sur mes vitres tout juste nettoyées en disant « tu vois, elles sont pas nettes tes vitres ». J’ai essayé de m’en sortir, j’ai passé un diplôme en tourisme conseillé par Pole Emploi, mais tous les employeurs me disent qu’il faut un BTS. J’ai postulé partout, même chez Starbucks ils me disent « vous n’avez pas le profil ». L’autre fois, j’ai pêté un plomb, j’ai débarqué là-bas en disant à une serveuse « j’ai pas le profil, j’ai pas le profil, tout le monde me dit ça, plutôt que vous montrer mon nez,je vais vous montrer mes fesses alors ! » Mais bon, faut pas se plaindre, en France, on a quand même beaucoup d’aides, y a d’autres pays qui sont pire et où les chômeurs sont laissés à l’abandon. Faut garder la pêche, allez souris ! Tiens, je te donne un bonbon, on va faire le pari qu’on l’aura fini avant qu’on nous appelle ».

Je me sens d’un coup bien conne avec mes questionnements existentiels et mes problèmes de riches…Mon interlocuteur fait des ménages pour 3,35 € de l’heure, sans aucune autre perspective et reste plus digne et plus positif que moi. Combien de vies semblables parmi tous ces gens qui font la queue ? Que ceux qui les traitent d’assistés viennent écouter leurs récits, leurs existences, leur quotidien…

« Personne suivante ». C’est mon tour.

« Pas de chance l’informatique est en panne Madame, il faudra repasser ».

En partant, je me retourne vers mon nouvel ami dont je ne connais pas le prénom. Il est déjà devant un autre comptoir, écoutant sans doute le même verdict sans appel. Je n’ose pas le déranger.

En sortant de l’agence, je ne pense plus à moi mais à lui.

11 commentaires:

  1. C'est tellement ça... Mais c'est tellement ça... Et encore quand ce fut pour moi, j'avais les mots pour dire mes maux, mais quand j'y emmène MA Zézette, les mots y'a jamais eu d'argent chez elle pour en acheter.

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  2. Merci ...j'ai pensé à toi et à elle en l'écrivant

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  3. Bientôt on achève bien les chevaux.
    Chronique de la misère humaine, de la dépersonnalisation, ou de la déhumanisation, je ne suis pas n'importe qui, je suis quelqu'un.

    Ces mots sont glaçants tant ils disent la détresse, et la machine impitoyable à broyer les âmes.

    Ton humour, grinçant lui aussi, ne réussit pas à me faire sourire, car ce billet est véritablement trop triste. Et après, on voudrait nous faire croire qu'etre chômeur est une sinécure, le paradis des glandeurs, et que si on veut On peut ? Connards de politiciens complètement déconnectés du quotidien du peuple, cette masse informe, et infâme qui n'ose même plus lever la tête.

    Et cette masse obéissante et résignée, un jour de se révolter.
    Je l'espère.

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  4. Dom, ton commentaire m'a fichu des frissons...c'est tellement ça...
    Pendant ce temps là, on va faire un référendum pour savoir s'il faut forcer les chômeurs à accepter une formation ou un emploi. C'est vrai que c'est la priorité.

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  5. L'autre jour, René Dosière, et pourtant, je respecte cet homme, a expliqué qu'il était "populiste et démago" de vouloir baisser les indemnités des parlementaires.
    Comme toujours donc, de quelque bord qu'ils soient, de quelle obédience à laquelle ils appartiennent, on ne touche pas à leurs avantages.
    Et pendant ce temps là, un maire (UMP ou PS ou autre, je sais plus, je m'en fous) a décidé lui, de baisser son salaire de 30% et a demandé à chacun de ses collaborateurs de baisser les leurs, et ils ont embauché un jeune homme pour aider les seniors.

    Voilà ce qui devrait être la règle et qui n'est qu'une exception, voilà ce qu'est la République, avec un grand R, celle de la solidarité et de la Fraternité.

    La Fraternité, pour eux, c'est moi d'abord, et les autres après, s'il en reste.

    D'où mon énervement, autant que ma tristesse à te lire ce matin.

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  6. Tu as tout dit! Tu devrais en faire article! au fait j'ai adoré celui sur Dati, tu as su retranscrire à 200% un truc que je n'arrivais pas à verbaliser!

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  7. je croyais naîvement qu'il existait quelque chose appelé le SMIC en France et qu'il était donc impossible de travailler pour moins....

    sinon, être demandeur (quémandeur ?!) d'emploi est déjà un emploi à plein temps
    et surtout n'ayez pas la mauvaise idée de déménager d'un département à un autre ou pire d'une région à une autre (même voisine), parce que le dossier ne passe pas les frontières administratives ou alors très mal

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  8. Je crois qu'il m'a dit qu'il touchait une aide en parallèle qui complétait ces 3,35€...mais j'avoue qu'on s'est dit tellement de trucs que je n'ai plus tout en tête!

    Oh la déménager, je n'ose pas imaginer les tracasseries administratives que cela engendrerait! Ce n'est pas à l'ordre du jour heureusement!

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  9. en fait vaux mieux vite trouver un taf qu'avoir a faire a ces gens.... ce matin je les ai eu au tel, ils viennet de me ponctionner la totalité de mon alloc, en disant que ce'tait a cause de trop percu depuis.... 2008! surréaliste!

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  10. C'est peut être une stratégie de leur part pour que les gens retrouvent n'importe quel boulot histoire de se sortir de là!:-)
    Un conseil : se déplacer plutôt que téléphoner, je n'ai jamais réussi à avoir une réponse cohérente au 3949.
    Courage!

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