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dimanche 19 mai 2019

Non, les femmes au travail ne sont pas moins ambitieuses ou plus timorées que les hommes




J’ai remarqué en lisant des articles sur le sujet ou en assistant à des conférences sur les freins limitant la carrière des femmes que l’accent était souvent porté sur la responsabilité individuelle. Ainsi, il est d’usage d’enjoindre les femmes à oser, à invoquer un manque de courage ou d’ambition ou de déclarer qu’elles sont de mauvaises négociatrices. Le même angle utilisé au sujet de la charge mentale : systématiquement, la solution brandie par tous les magazines serait que les femmes soient mieux organisées. C’est encore une fois faire peser sur leurs épaules la responsabilité de ces inégalités : elles seraient à la fois victimes et bourreaux.

Lorsqu’on traite du sujet des inégalités dans le monde du travail, il est important de ne pas éluder l’aspect systémique ou de dépolitiser cette question. Non, les femmes ne sont pas de petites choses fragiles qu’il faudrait éduquer pour affronter la jungle du monde du travail. Le vrai frein ce n’est pas leur comportement mais les stéréotypes de genre qui les jugent et les évaluent différemment des hommes.

Pour corriger les inégalités, il faut donc passer d’une injonction individuelle à un changement profond des mentalités au sein des organisations. Et cela passe par un décryptage des idées reçues.

Démonstration en 5 exemples.

Idée reçue N°1 - Les femmes osent moins postuler

Il n’y a pas de différence flagrante entre le nombre de candidatures envoyées par les femmes et par les hommes (88% contre 90% pour leurs homologues masculins). C'est un des enseignements tiré de l’étude menée par Linkedin intitulée « Différence hommes-femmes dans la recherche d'emploi : quelle influence sur le parcours des candidats ». Alors qu’elles consultent plus d’offres qu’eux (41 annonces par an versus 37), leurs candidatures sont moins consultées par les recruteurs que celles des hommes (13% en plus pour ces derniers). Et une fois que leur profil est examiné, elles reçoivent moins de mails de réponse (3% d’écart avec les hommes). On ne peut donc pas reprocher aux femmes de ne pas oser. Si malgré tout elles réussissent à passer tous ces obstacles, elles ont, en France, légèrement plus de chance (+2%) d'être embauchées que les hommes après avoir postulé. Et même 6% de mieux pour un poste à plus haute responsabilité.

Idée reçue N°2 - Les femmes attendraient d’avoir 120% de compétences pour postuler

Qui n’a pas entendu cette phrase dans une conférence ? « Les femmes attendent d’avoir 100% des compétences pour postuler alors que les hommes se contentent de 50% ». Pourtant, comme l’explique Marie Donzel sur son blog, il s’agit d’une légende urbaine, aucune étude scientifique ne venant valider cette affirmation. 

Une enquête interne de Hewlett Packard s’est bien penchée sur le sujet mais ce chiffre n’a rien de scientifique puisqu’issu du simple avis d’un dirigeant interviewé .

Tara Mohr, du Harvard Business Review est repartie de cette affirmation pour enquêter en posant cette question à une centaine d’hommes et de femmes : « Pourquoi n’avez-vous pas postulé à un job pour lequel vous estimiez ne pas avoir les compétences ? ». 

Fait intéressant, ce n’est pas du tout le manque de confiance qui a été invoqué en premier, la réponse « Parce que je ne pensais pas pouvoir faire le job correctement » n’arrivant qu’en dernière position. Les hommes et les femmes ont d’ailleurs des résultats quasiment équivalents sur cet item (12% versus 10%)  La première raison avancée pour 41% des femmes et 46% des hommes était : « Je ne pensais pas qu'ils m'engageraient car je ne possédais pas les compétences requises et je ne voulais pas perdre mon temps et mon énergie ». 

En d’autres termes, les personnes qui ne postulaient pas pensaient avoir besoin des compétences non pas pour bien faire leur travail, mais pour être embauchées. Il s’agit donc davantage d’une méconnaissance du processus du recrutement, au cours duquel les compétences ne sont pas les seuls facteurs entrant en ligne de compte, que d’un manque de confiance en soi.

Idée reçue N°3 - Les femmes ne savent pas négocier

Une étude publiée dans la revue "Harvard Business Review", contredit cette idée reçue : les femmes demanderaient aussi souvent des augmentations que les hommes, mais elles les obtiendraient plus rarement. Ainsi, alors que 20% des hommes demandant une augmentation y parviennent, ce n’est le cas que pour 15% des femmes.

L’article de la "Harvard Business Review" nous apprend également que les différences s’estompent avec l’âge des salariés. En effet, les jeunes femmes ne se distinguent pas des jeunes hommes – même quand il s'agit du montant de l'augmentation. Preuve que la jeune génération peut être pourvoyeuse de changement. 

Idée reçue N°4 - Les femmes réussissent moins que les hommes car elles agissent différemment au sein de l’entreprise

Les différences de comportement entre les hommes et les femmes sont une raison fréquemment invoquée pour justifier les inégalités dans le monde du travail. Une étude de l’Harvard Business Review tord le cou à cette idée reçue. Pendant quatre mois, les chercheu.r.seuse.s, ont passé au crible les données issues des échanges d’e-mails et des agendas des réunions de centaines de salariés à tous les niveaux hiérarchiques. Puis, 100 d’entre eux ont reçu des badges sociométriques leur permettant de suivre leurs comportements individuels.

A l’analyse des données, ils n’ont trouvé presque aucune différence perceptible dans les comportements des femmes et des hommes. Les femmes avaient le même nombre de contacts que les hommes, passaient autant de temps avec leurs supérieurs et, à poste égal, allouaient leur temps de la même manière. Il n’y avait pas de différence en ce qui concerne le temps passé en ligne, le travail effectif et les conversations en face-à-face. Lors des évaluations de performance, les femmes et les hommes obtenaient des résultats statistiquement identiques. Cela valait pour les femmes à tous les niveaux hiérarchiques. Pourtant, les femmes ne progressaient pas. Et les hommes, si.

Les chercheur.se.s sont donc arrivés à la conclusion suivante : « Notre analyse suggère que l’écart entre les taux de promotion des femmes et des hommes dans l’entreprise étudiée n’était pas dû à leur comportement mais à la façon dont ils étaient traités. Cela indique que les arguments destinés à faire évoluer le comportement des femmes – à les inciter à « s’imposer » davantage, par exemple – passent probablement à côté de la réalité : l’inégalité femme-homme relève de préjugés et non de différences comportementales. (…) Il est nécessaire que les entreprises considèrent l’inégalité femme-homme comme n’importe quel autre problème économique : à l’aide de données chiffrées. 

Idée reçue N°5 - Les femmes ont moins d’ambition que les hommes

L’étude « Women and ambition » menée par le think tank « PWN » révèle que l’ambition n’est pas réservée aux hommes. Ainsi, 88 % des femmes et 91 % des hommes pensent qu’elle est un moteur important pour leur carrière.

En revanche, chacun des 2 sexes en a une perception différente, dans laquelle les stéréotypes ne sont pas exempts, comme l’explique le think tank : « L’ambition des femmes les pousse légèrement plus que les hommes vers leur développement personnel : se réaliser, exercer un métier qu’elles aiment, faire progresser leur carrière, chercher la reconnaissance. La maîtrise du temps est aussi un peu plus marquante pour elles. 

L’ambition des hommes les pousse légèrement plus que les femmes vers le pouvoir et ses attributs concrets : occuper un poste stratégique et influent, à « hautes responsabilités », visible ; pouvoir qui apporte indépendance d’être son propre patron et argent. Peut-être les hommes assument-ils ces facettes de l’ambition plus facilement que les femmes ? 

Dans une moindre mesure, ils évoquent davantage que les femmes les interactions managériales : manager et faire progresser ses équipes ». 

En conclusion, même si l’ambition et le courage doivent bien sûr être encouragés chez les femmes, ce levier doit s’inscrire pour les organisations dans une volonté plus globale de lutter contre les stéréotypes

Comme le conseille l’Harvard Business Review : « Pour concevoir une solution aux problèmes spécifiques d’une entreprise, vous devez chercher des données qui vous permettront de répondre à des questions aussi fondamentales que « À quel moment les femmes renoncent-elles ? » ou « Les femmes agissent-elles différemment des hommes au bureau ? » ou encore « Et si notre culture d’entreprise limitait l’évolution des femmes ? ». Quand les entreprises mettent en œuvre une solution, elles doivent mesurer les résultats en matière de comportements et de promotions. Ce n’est que sur cette base qu’elles pourront passer du débat sur les causes de l’inégalité femme-homme (préjugés versus comportement) à l’étape nécessaire de la solution. »

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