L’année
dernière, j’avais épinglé ici 2 opérations racoleuses utilisant des SDF pour faire le
buzz : la première équipait des sans-abris pour devenir des bornes wifi
ambulantes, la seconde se servait d’eux comme hommes sandwichs pour vanter les
mérites de l’agence Ogilvy.
Aujourd’hui, je découvre grâce à Twitter une opération mettant de nouveau en scène des SDF intitulée « Tweet2Rue ». En voici le principe, tel que décrit sur France Inter : « C'est aujourd'hui la journée mondiale du refus de la misère. A cette occasion, la Fondation Abbé Pierre lance l'opération "Tweets 2 rue" en partenariat avec France Inter.
Jusqu’au 15 mars,
des personnes en grande précarité, équipés d'un téléphone portable et d'une
connexion Internet vont partager leur quotidien sur le réseau social Twitter.
Et leurs messages seront repris sur l'antenne de France Inter.
Ils sont cinq à se lancer dans cette aventure inédite. Des
sans abris, des exclus qui, pour la plupart, ont déjà passé de longues années
dans la rue, à Paris, Metz et Bourges. Pendant cinq mois, ils seront
accompagnés par des journalistes de France Inter. Patricia Martin,
Claire Servajean, Guillaume Erner, Eric Valmir et Thomas Legrand se feront
l'écho de ces tweets de rue.
L'objectif est simple: il s'agit de recréer un peu de lien
social. Et surtout de donner la parole à ceux que l’on n’entend presque jamais… ».
Une initiative plutôt originale et qui, cette fois-ci, ne
sert pas à vendre un produit mais soutenir La Fondation Abbé Pierre. En
utilisant Twitter, cette opération permet à la fois de donner la parole aux
sans-abri et de toucher une cible différente.
Pourtant, jugée à tort racoleuse, elle a très vite été mal
comprise alors que l’idée n’est pas ici « de faire le buzz » pour vendre
un produit mais sensibiliser à une cause.
Comment juger une opération
« honteuse » sans parler à la place des sans-abris ? Est-ce
vraiment la vision des intéressés ?
D’ailleurs, certains ne se gênent pas pour traiter les 5
twittos de « manipulés », comme s’ils n’avaient pas leur libre
arbitre (tout en insinuant qu’à leur place, ils auraient revendu les téléphones).
D’autres en profitent pour déverser leurs blagues grasses.
Certains estiment que les associations feraient mieux de
trouver un logement plutôt que d’offrir des Iphones (il n’a d’ailleurs jamais
été spécifié qu’il s’agissait d’Iphones).
Cette rhétorique me fait penser à
cette phrase que l’on m’oppose dès que je parle de publicité sexiste ou de tout autre sujet féministe jugé non
prioritaire « Vous feriez mieux de parler des femmes afghanes/du viol/des
femmes battues ». Un grand classique du militantisme. Comme si il était
incompatible de proposer des téléphones à des SDF tout en essayant de leur
trouver des logements convenables. Comme s’il était incompatible de dénoncer
des publicités sexistes tout en soutenant les victimes du viol.
C’est également oublier qu’un téléphone n’est pas un gadget
réservé aux nantis mais une aide extrêmement utile aux sans abri : il leur
permet de chercher un emploi, trouver un endroit où dormir, d’être en contact
avec les services sociaux.
Entre indignation sélective et blagues de mauvais goût,
force est de constater que la parole des SDF a littéralement été confisquée,
noyée parmi les tweets contestataires ou pseudo-humoristiques. Il fallait se
donner la peine d’aller sur leur profil pour pouvoir lire leur prose et
découvrir leur quotidien.
On me répondra que le but de tout opération de comm’
« faire parler de soi, en mal ou en bien » a été ici atteint. En
effet. Cependant, le manque de préparation et une certaine méconnaissance des
spécificités de Twitter ont conduit ici à la confiscation de la parole des SDF,
qui était le but initial de l’opération. Ce qui est bien dommage.
Un véritable hold-up en bande organisée mené de main de maître par les indignés à la petite semaine. Etrangement, on ne les a pas
beaucoup entendus au sujet de cette
information pour le moins révoltante : hier un SDF a été battu et
brûlé en plein centre ville.
Vous avez dit indignation sélective ?
Pour suivre les sans-abris sur Twitter :
Nicolas : @nickopompons,
36 ans, 10 ans de rue à Bourges
Sébastien : @DjamaikaPtiseb, 33 ans, 10 ans
de rue à Bourges
Ryan : @usher226,
24 ans, 4 mois de rue à Metz
Patrick : @kanter57640, 47 ans, 3 ans de rue à
Metz
et @Tweets2Rue
Je trouve les tweets "humoristiques" extrêmement choquants. C'est insultant et blessant pour le SDF qui va cliquer sur le hashtag que de se retrouver moqué de cette manière.
RépondreSupprimerEt effectivement, ceux qui parlent de "malaise" sont totalement à côté de la plaque : leur malaise c'est de se retrouver nez à nez avec le quotidien des SDF, pas leur supposée manipulation...
Bien dit, Morgane. Les gens s'insurgent, mais sont les premiers à détourner le regard lorsqu'ils croisent un SDF... C'est vrai, quoi, ça pourrait être contagieux, le malheur !
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