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mercredi 29 août 2012

L'heure de la revanche des rondes a-t-elle sonné?



Dans un précédent billet, j’évoquais une étude qui démontrait que l’intention d’achat augmentait de 200% quand une consommatrice regardait une publicité présentant un mannequin de la même taille qu’elle ou d’une taille supérieure. A l’inverse, l’intention d’achat chutait de 60% quand le mannequin était plus mince que la consommatrice.

Les femmes ont raconté lors des focus groups qu’elles pouvaient mieux se représenter le vêtement avec un mannequin qui leur ressemblait. Autre fait intéressant : elles affirmaient se sentir belles et sûres d’elles en voyant un mannequin qui leur correspondait, ce qui leur donnait envie d’acheter la robe.
A l’inverse, les modèles idéalisés renforçaient leur sentiment d’insécurité sans pour autant qu’elles ressentent le besoin de transformer cette frustration en acte d’achat. Bien au contraire, se sentant exclues, les femmes se détourneraient de la marque.

Les marques ont-elles eu vent de cette étude, les mentalités sont-elles réellement en train de changer ou bien est-on en train d’assister à l’éclosion d’un « fatwashing » ?  (à l’image du greenwashing). Quoi qu’il en soit, 2 informations concomitantes peuvent laisser penser que les marques semblent enfin s’intéresser aux rondes.



La première, c’est la naissance au Royaume-Uni de « Slink », un magazine entièrement dédié au « plus sizes ». Ici, pas d’articles sur le dernier régime à la mode mais essentiellement des mannequins, rondes, présentant des marques de luxe à la manière d’un Vogue. Le rédacteur en chef, Rivkie Baum, explique ici qu’après avoir travaillé dans une boutique grandes tailles,  il réalisa qu’il y avait bien un marché existant pour ces femmes mais qu’aucun média ne s’adressait à elles en dépit de leur potentiel financier.

De plus, les magazines traditionnels ne les intéressaient pas et ne contenaient rien de « luxueux et d’inspirationnel » pouvant retranscrire l’air du temps.

Même si le magazine est financé par la publicité, Rivkie Baum regrette la frilosité de certains annonceurs, notamment les grands noms de la beauté, qui semblent encore réticents à se voir associés aux rondes : « On n’est jamais trop ronde pour du maquillage, du shampooing ou des accessoires » déplore-t-il.

Mon avis est partagé au sujet de ce magazine : il n’y a rien de philanthropique dans cette initiative, les rondes étant clairement envisagées comme une niche et une potentielle manne financière. Par ailleurs, un magazine 100% rondes, sans aucune diversité de taille, ne risque-t-il pas d’être contre-productif et de ghettoïser les grandes tailles ?
 « Big Beauty », le célèbre blog, tient justement son succès au fait qu’il s’adresse à toutes les femmes, pas seulement aux rondes.


Au-delà de ces réticences, on peut néanmoins se féliciter d’une chose : si ce magazine rencontre le succès escompté, nul doute que les grands noms de la presse, attirés par l’appât du gain, seront amenés à revoir leur politique en matière de mensurations. 

Une révolution qui est peut-être déjà en train en train d’être amorcée comme l’explique cet article du Monde : de plus en plus de magazines américains auraient ainsi recours à la « retouche inversée ». Le principe : réinjecter des formes aux mannequins trop maigrichonnes "Des femmes pulpeuses comme Beyoncé, J-Lo ou Kim Kardashian sont la nouvelle norme, de nos jours, Hollywood est plus prescripteur de l'image du corps de la femme que les mannequins. On n'est plus dans une logique de "rend-moi plus mince", mais au contraire "donne moi l'air sexy et avec des formes", explique le styliste Phillip Bloch. La retouche se fait sur toutes les parties du corps. Il faut des bras toniques et des visages plus ronds." Comble du cynisme et de l'absurde, si les mannequins pulpeuses sont la norme, pourquoi donc s’obstiner à faire appel systématiquement aux minces ?

Mince, rondes, grandes tailles : il faut dire que cette notion est toute relative pour les publicitaires et les magazines. Dernier exemple en date, Dim, qui a lancé le collant « Generous » spécial « grandes tailles » et qui commence…taille 40 !



Un argument de poids pour brouiller les pistes, faire naitre la culpabilité et engendrer l’acte d’achat.

Demain, toutes rondes ?

dimanche 26 août 2012

2 kilos de plume, 2 kilos de plomb



J’ai pris 2 kg en vacances. Pas de quoi en faire un post, hein, surtout pour quelqu’un qui se dit féministe. Pourtant ce truc m’obsède et je n’en suis pas fière.

2 kg ce n’est rien, même pas sûr que ceux qui m’entourent l’ont remarqué. Moi je les ai sentis venir sournoisement pendant les vacances, s’installer confortablement sur le haut de mes bras, mon ventre, mes cuisses et je ne vois qu’eux. Chez celles qui grossissent harmonieusement, ces 2 kg se seraient répartis poliment sur toutes les parties du corps, à pas de loup. Chez moi, tout se concentre grossièrement sur le haut : haut des bras, haut des jambes, rendant la dysharmonie encore plus flagrante. Petits poignets tout fins puis bras mollassons, mollets élancés puis cuisses criblées de cellulite. Un magazine féminin aurait eu sans doute une réponse à ça en me rangeant dans un type de morphologie déterminé avec moult explications pseudo-scientifiques et régime à la clé. Pas sûr que ça m’aurait consolé. De toutes façons, je ne les lis plus.

J’ai eu la révélation  de ces 2 kg en tombant sur une photo de moi prise en maillot de bain cet été. Impitoyable cliché sur lequel auquel stratagème n’a eu de prise. J’ai eu beau tester tous les filtres Instagram disponibles, même ceux qui arrangent les pires teints blafards ou estompent les rides perfides, pas moyen d’effacer cette cellulite rebelle ou d’aplanir ce ventre insolent. Même la technologie n’a rien pu pour moi.

Depuis une semaine, je lutte contre moi-même dans une espèce de schizophrénie corporelle. Chaque matin depuis mon retour, je me pèse et malgré les courgettes ingurgitées, le coca supprimé, les bonbons évincés et les km courus, mon poids ne bouge pas d’un gramme. Je ressens une rage démesurée contre ce corps qui m’échappe et sur lequel je n’ai pas de prise, une envie féroce de lui montrer qui est le maître et de gagner ce bras de fer. Mais à chaque pesée il me nargue, me renvoyant au visage mes efforts inutiles. En redescendant de la balance, j’imagine alors tous les sacrifices que je consentirai dans la journée pour reprendre le dessus. Je m’extrais du moment présent et je suis déjà dans l’après. Dans la journée, j’essaye de visualiser ce poids en moi : 2 kg de plomb, 2 kg de plumes…

Hier, en rangeant des photos, je suis tombée sur une photo de moi en maillot de bain datant d’il y a 15 ans. Je devais avoir 5 kg de moins que maintenant et pourtant tout était différent. En m’attardant sur le cliché, je détaillais avec avidité mes bras galbés, mes cuisses dépourvues de cellulite, ma taille si fine. Une taille 36 sans aucun effort. Dire qu’à l’époque j’étais complexée et déjà dans la détestation de moi-même…

Enfant, j’ai toujours été maigre. Manger était un calvaire et je me revois dans la cuisine, ma mère me nourrissant à la cuillère « allez, encore une bouchée ». Désormais, le mot « bouchée » me donne des hauts le cœur. Je me souviens de mon grand-oncle qui rassurait ma grand-mère, inquiète devant mes refus de m’alimenter « Qu’est ce qu’elle aime manger ? Du saucisson ? Et bien laissez la manger du saucisson et fichez lui la paix! ». A l’adolescence, j'ai découvert sans préavis le plaisir de manger. Je dévorais, dans des quantités inadaptées à ma corpulence, et mangeais 2 fois plus que mes petits copains tout en pesant 22 kg de moins que ma taille. Je n’avais pas de balance et affichais un poids insolent tout en m’alimentant de manière totalement diététiquement incorrecte.

La première fois que j’ai perdu l’envie de manger, c’était suite à une rupture amoureuse très douloureuse suivie de l’annulation d’un mariage. Je pesais alors 50 kg pour 1m77 et flottais piteusement dans mon 36. Mes cuisses étaient creusées, mes joues anguleuses, mes seins fantomatiques. La maigreur extrême a depuis toujours été associée aux périodes douloureuses de ma vie. Je revois encore le regard effrayé et empli de pitié de mes collègues face à ma silhouette de fantôme qui criait ma tristesse alors que je tentais de donner le change.

J’ai acheté ma première balance à l’âge de 31 ans soit 6 mois après l’emménagement avec mon futur mari. Le détonateur a été une parole cinglante lancée par un de mes meilleurs amis (qui ne l’est plus depuis mais pour d’autres raisons) « tiens, j’ai vu machin qui t’a croisée dans la rue l’autre jour. Il m’a dit « waouh, qu’est ce qu’elle a grossi » ». Moi qui ne me pesais jamais, je décidai alors d’investir pour la première fois dans une balance. Le verdict a été sans appel : +5 kg. Le prix de la sérénité, du bonheur et des plats cuisinés industriels (je ne savais à l’époque même pas cuire un œuf). Depuis ce jour, je me pèse quotidiennement par peur que mon corps m’échappe et que les kilos s’accumulent sans que je m’en rende compte. Et j’ai perdu l’insouciance dans mon rapport au corps.

Hier, dans le métro qui arrivait, j’ai aperçu le reflet de ma silhouette floutée par la vitesse dans le wagon. J’ai bien aimé celle que j’ai vue, une forme toute en courbes, dans une robe rouge pétard. Puis je me suis dit que la femme que je serai dans 15 ans trouverait sans doute jolie celle que je suis aujourd’hui. Dommage d’avoir toujours un train de retard…

jeudi 23 août 2012

Poulerousse ou la propagande de la bonne ménagère



L’autre jour, après avoir fait tourner les 10 machines correspondant au contenu de mes valises, je ramassais quelques jouets qui trainaient dans le salon quand ma fille me lança, sans préavis « C’est bien maman, tu es une bonne ménagère ».

Grosse claque. Donc ma fille connaît le mot « ménagère », me l’attribue et l’associe à quelque chose de valorisant. Heureusement, elle n’a pas rajouté « de moins de 50 ans », on a évité le pire. Mais j’ai eu mal à mon féminisme quand même.

En essayant de trouver l’origine de cette expression, un peu iconoclaste dans la bouche d’une petite fille de 4 ans en 2012, je me suis souvenue d’un livre acheté récemment intitulé « Poule Rousse ».  Un classique du Père Castor décrit en 4ème de couverture comme « un vieux conte nouvellement raconté par Lida ».


Même si les mots sont un peu plus modernes, l’histoire est toujours aussi stéréotypée, véritable ode à la ménagère.

Pour une fois qu’un personnage de livre pour enfants était une héroïne, il ne fallait pas trop en demander !

Dès le début du livre, Poulerousse est décrite à travers son foyer :

 « Dans ce jardin, il y  une maison : c’est la maison de Poulerousse. Dans la cuisine et dans la chambre, tout est propre et bien rangé. Poulerousse est une bonne ménagère : pas un grain de poussière sur les meubles, des fleurs dans les vases et aux fenêtres de jolis rideaux bien repassés. C’est un plaisir d’aller chez elle. »



Voici donc d’où vient la propagande de la bonne ménagère! Sauf que chez moi, les fleurs crèvent en une journée, la poussière s’accumule et les rideaux ne sont pas repassés mais ma fille ne semble pas l’avoir remarqué ! Dans son esprit, bonne ménagère est forcément associé à quelque chose de valorisant !

Un peu plus loin, on nous apprend que Poulerousse à une amie, la tourterelle. Pour autant, elle n’explorent pas le monde extérieur ensemble et restent confinées toutes deux dans la sphère intime (ce sont des héroïnes, ne l’oublions pas !).

« Elles ont beaucoup de choses à se dire. Elles s’assoient en face l’une de l’autre. Elles boivent un tout petit verre de vin sucré, croquent des gâteaux secs. Elles chantent, jouent aux dominos, ou bien elles travaillent en bavardant. La tourterelle tricote. Poulerousse aime mieux coudre ou raccommoder. Du reste, elle a toujours dans sa poche une aiguille tout enfilée, un dé et des ciseaux. Et elle est toujours prête à rendre service aux uns et aux autres, en raccommodant un accroc ici ou là ».

Comme ce sont des héroïnes, elles associent futilité (bavardage, jeu, dégustation de vin et de gâteaux) et utilité : lorsqu’elles travaillent, il s’agit de raccommodage, de tricot ou de couture. La seule fois où Poulerousse sort de son sacrosaint foyer pour chercher du bois, elle est capturée par le loup (ce qui sonne indirectement comme un avertissement envers les jeunes lectrices ! gare à celles qui oseraient se frotter au monde extérieur !).

Elle est heureusement sauvée par son amie la tourterelle qui fait diversion tandis que Poulerousse se libère du sac dans lequel elle est enfermée grâce à…son dé, ses ciseaux et son aiguille ! (nouvelle valorisation des outils de la ménagère !).

Suite à cette mésaventure, « Poulerousse et la tourterelle ne se quittent plus ».
Néanmoins, elles ne partent pas pour autant à la découverte du monde. On les retrouve à la fin du livre, bras dessus bras dessous, toujours confinées au sein du foyer mais ensemble : « Elles vivent ensemble dans la maison de Poulerousse. Elles sont très heureuses ».

On a au moins échappé au sempiternel « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »…

Comme je l’avais déjà expliqué dans un précédent billet, la littérature enfantine est plus stéréotypée que la réalité, cet exemple l’illustre bien.

Anne Daflon-Novelle, docteur en psychologie, a mené 3 études très complètes en 1994, 1997 et 2000 portant sur les représentations des 2 sexes dans la littérature enfantine. Il en ressort des disparités flagrantes de représentation, tant au niveau quantitatif que qualitatif.

Les chiffres sont éloquents : on note 2 fois plus d’héros que d’héroïnes et 10 fois plus d’héros animaux que d’héroïnes animales ! Les stéréotypes également ont la vie dure : les femmes et les fillettes sont plus souvent représentées à l’intérieur qu’à l‘extérieur et dans des activités passives. A l’opposé, les hommes et les garçons sont davantage illustrés dehors que dedans, vaquant à des occupations actives. Les femmes sont essentiellement présentées en tant que mère dans des tâches ménagères ou de soins courants aux enfants, dont les fils sont majoritairement les bénéficiaires. Lorsqu’elles sont identifiées comme ayant une situation professionnelle (15 % d’entre elles contre 32 % des hommes dans l’étude de 1994) elles sont cantonnées aux métiers de l’enseignement, au soin des enfants ou au commerce. Les hommes ont des activités professionnelles plus variées et valorisées.

Les conséquences de ces représentations sont nombreuses : "Pour les filles, le manque de modèles valorisants porte un coup à l'estime de soi et conditionne des comportements. Les stéréotypes de la littérature enfantine restreignent par exemple leurs choix professionnels: il leur est difficile de choisir un métier qu'elles n'ont jamais vu exercer par d'autres femmes. Les garçons sont également confinés dans un rôle rigide: ils auront plus de difficulté à choisir un métier dit "féminin", par peur des moqueries de l'entourage, des copains" explique Anne Daflon-Novelle.

Heureusement, il existe des alternatives, comme les éditions « Talents Hauts » ou les « Editions pour penser à l’endroit ». 
Histoire de proposer aux petites filles d’autres modèles que la ménagère accomplie !